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caractère de Struensée ; mais ils ont trouvé dans leur héros, homme historique, une nouvelle personnification du dix-huitième siècle. L’intrigue de Struensée avec la reine Mathilde (intrigue qui tout à coup arrêta Struensée dans sa période ascendante) est le dernier trait pour donner à cet homme la physionomie de son temps. Struensée, il paraît, ne se fit pas philosophe, ne pouvant être médecin ; il avait autant de portée que d’audace dans l’esprit. Telle Marie devant Clavijo, Mathilde, comme une pierre fatale, se trouva devant Struensée. Clavijo, toutefois, sacrifia son amour à une ambition inférieure, au lieu que Struensée sacrifia une haute ambition à son amour. La catastrophe fut la même : Clavijo (dans le drame de Gœthe, du moins), Clavijo et Struensée périrent tous deux par une même cause et manquèrent leur destinée.

Nous disons, quant à ce livre, que le caractère de Struensée qui commence brillamment et finit avec noblesse, devient indécis vers le milieu du premier volume ; il se relève à cette scène originale où le peuple escalade les fenêtres du premier ministre pour le forcer à abdiquer : — « Les matelots Norwégiens se trouvaient en masse auprès du balcon. L’un d’eux, le plus animé, se hissa sur les épaules de ses compagnons, et de là, se trouvant face à face avec Struensée, il commença à parler au nom de tous, comme s’il traitait de puissance à puissance.

— Ce que nous voulons, s’écria-t-il, c’est un Danois pour maître ; ce que nous ne voulons pas, c’est un maître étranger.

— Non, non, point d’étranger, répétèrent les autres.

— Nous ne t’obéirons pas, reprit le chef, enhardi par son succès.

— Non, point d’obéissance à l’Allemand.

— Docteur, ajouta-t-il d’un air insultant, nous ne sommes point malades, nous autres ; regarde, nous sommes forts et vigoureux, nous n’avons pas besoin de tes ordonnances.

Les huées et les éclats de rire de la troupe accueillirent cette grossièreté. Struensée répliqua sans s’émouvoir :

— Donc, mes maîtres, le choix de sa majesté vous déplaît, et pour vous satisfaire, il faudrait refuser la dignité qui m’est offerte.

— Oui, refuse, refuse ! crièrent-ils, tous d’une même voix.

— Refuse, nous le voulons ! — Refuse, ou crains pour ta vie !

— Des menaces ! reprit froidement Struensée ; en ce cas, mes amis, vous me décidez : puisque vous m’invitez de cette façon violente à refuser le rang de ministre, mes amis, je l’accepte.

À ces mots, les insurgés demeurèrent stupéfaits, et celui qui tenait le poignard retomba au milieu de ses camarades. Le peuple, au contraire.