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LA DUCHESSE DE BERRY AU CHÂTEAU DE NANTES.

tant plus que ce sera probablement le dernier repas qu’il aura l’honneur de faire avec Votre Altesse.

— Je n’ai point entendu cela.

— Le général l’a cependant dit, madame, interrompit doucement mademoiselle de Kersabiec.

— Mais pourquoi ne pas s’être expliqué d’une manière plus claire ?

— Parce que Votre Altesse, répondis-je, avait déjà éprouvé tant de secousses dans la journée, que je voulais lui conserver au moins une bonne nuit, et que je savais qu’elle ne pourrait dormir, si elle était informée que pendant son sommeil, on devait transférer M. Guibourg en prison.

— Et vous, Stylite, pourquoi ne m’avez-vous rien dit, puisque vous aviez compris les paroles du général ?

— Par la même raison que le général, Madame.

— Oh ! si vous vous mettez tous contre moi ! d’ailleurs j’ai assez de la guerre ; et puis à tout prendre, — elle me regarda et me tendit la main, — n’est-ce pas, Stylite, qu’il est bon enfant ?

— Oui, Votre Altesse, c’est malheureux qu’il ne veuille pas être des nôtres.

J’abandonnai la main de Madame que je tenais.

— Tout ce que Votre Altesse aura droit d’exiger de respects, je les aurai ; tous les services qu’elle me demandera, et que je serai assez heureux pour pouvoir lui rendre, je les lui rendrai ; tout ce qu’elle aura de désirs même, si je les devine, je les préviendrai. — Je m’arrêtai.

— Et pour tout cela ?…

— Je ne demanderai qu’une chose à Votre Altesse, c’est de prier mademoiselle Stylite de ne jamais revenir sur le même sujet.

— Tu l’entends, Stylite, dit Madame. Parlons d’autre chose. Avez-vous quelquefois vu mon fils, général ?

— Je n’ai pas eu cet honneur.

— Eh bien ! c’est un brave enfant, bien fou comme moi, bien entêté comme moi, mais bien Français comme moi.

— Vous l’aimez beaucoup ?

— Autant qu’une mère peut aimer son fils.

— Eh bien ! que Votre Altesse Royale me permette de lui dire alors que je ne comprends pas comment, lorsque tout a été fini dans la Vendée, lorsqu’après les combats de la Vieillevigne et de la Pénissière tout espoir a été perdu, elle n’a pas eu l’idée de retourner aussitôt près de ce fils qu’elle aime tant ; nous lui avons fait beau jeu.

— Général, c’est vous qui avez saisi ma correspondance ? je crois.

— Oui, Madame.