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sur la physionomie mobile de Mainfroi, qui, par ses gestes et par son regard seulement, avait tour à tour donné des consolations tendres et hasardé quelques prières ; mais il avait surtout prodigué des caresses respectueuses. Il portait les mains de sa sœur contre ses yeux, rouges de larmes brûlantes ; il les pressait contre les siennes, et les couvrait de longs baisers ; enfin il s’était glissé, dans cette âme ardente et terrible, comme une espèce de repentir qui lui faisait abjurer ses fureurs, mais non son amour. Flattée de cette victoire incertaine, l’aimable Syligaitha crut alors pouvoir montrer quelque confiance à son frère, qu’elle avait toujours tendrement aimé. Au moment où elle lui avait rappelé les dangers de l’indiscrétion des amans heureux, son front s’était calmé, le sourire était revenu sur ses lèvres, et les mains de Mainfroi n’étaient plus captives dans les siennes. De son côté, le jeune prince, dont les transports violens étaient rendus inutiles par la tendresse confiante qu’on lui témoignait, avait laissé percer aussi le sourire sur sa noble et mâle figure. La nuit était venue, et les flambeaux ne jetaient plus qu’une lumière douteuse ; après un festin où les vins de Calabre n’avaient point été épargnés, après tant d’émotions qui s’étaient succédées si rapidement, et enfin, en voyant les effets d’un amour si vif et si indomptable, peut-être que la princesse sentit son cœur s’attendrir et sa vertu s’éteindre. Mainfroi la pressa de nouveau, alors elle ne trouva plus en elle ni la force ni la volonté de se défendre ; tout en ce moment, jusqu’aux ténèbres, conspira en faveur de l’amour ; et, dans ce désordre, l’honneur de la race impériale, les droits d’un époux, et les lois les plus sacrées, tout fut oublié par Syligaitha, qui ne pensa plus qu’à Mainfroi. »

Sans cet amour de la vérité, sans ce cri de la conscience du savant Alde Manuce, de cet homme qui ne voulait pas que l’on mentit même dans un conte, nous ne connaîtrions pas l’histoire de Syligaitha ; car c’est en vain que j’ai multiplié les recherches pour mettre la main sur les annales de Paul Emile Santorio. Il y a tout lieu de croire qu’à l’exception de cette anecdote, le reste de cet ouvrage, écrit en latin, n’a point été imprimé.

Depuis quinze ou seize ans, il est arrivé un grand malheur en Europe, mais particulièrement en France. On ne croit plus au public. La preuve en est qu’on le méprise, qu’on le mystifie, qu’on ne se donne pas la peine d’interroger ses goûts, ni même de lui présenter avec une clarté suffisante les poèmes, la prose, les idées, enfin tout ce que l’on jette avec dédain à son avidité. Byron, lui qui est devenu pendant un temps l’idole du public, est celui de tous les auteurs de notre temps, qui le premier l’ait traité le plus cavalièrement. Il agit tellement sans façon avec son lecteur, que lorsque la recherche d’une rime l’embarrasse tant soit peu, il finit son vers par un