Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 3.djvu/56

Cette page a été validée par deux contributeurs.
50
REVUE DES DEUX MONDES.

qu’au bout de l’avenue. Caroline s’appuya comme de coutume sur mon bras pour revenir ; à peine si elle pouvait se soutenir : sa poitrine était haletante, son haleine embrasée. Je lui parlais de mon amour, et elle ne s’offensait point ; puis, quand sa bouche m’eut fait la défense de continuer, ses yeux étaient noyés dans une telle langueur, qu’il lui eût été impossible de leur donner une expression en harmonie avec ses paroles.

La soirée se passa comme un rêve. Je ne sais à quel jeu on joua, mais je sais que je restai près d’elle, que ses cheveux touchaient mon visage à chaque mouvement qu’elle faisait, et que ma main rencontra vingt fois la sienne ; ce fut une ardente soirée : j’avais du feu dans les veines.

L’heure de nous retirer arriva, il ne manquait rien à mon bonheur, que d’avoir entendu, de la bouche de Caroline, ces mots que je lui avais répétés vingt fois tout bas : Je t’aime, je t’aime !… Je rentrai dans ma chambre, joyeux et fier comme si j’étais le roi du monde. Car demain, demain peut-être, la plus belle fleur de la création, le plus riche diamant des mines humaines, Caroline, allait être à moi ! à moi !… Toutes les joies du ciel et de la terre étaient dans ces deux mots.

Je les répétais comme un insensé en marchant dans ma chambre. J’étouffais…

Je me couchai, et je ne pus dormir. Je me levai, j’allai à la fenêtre et je l’ouvris. Le temps était superbe, le ciel flamboyait d’étoiles, l’air semblait embaumé : tout était beau et heureux comme moi ; car on est beau lorsqu’on est heureux.

Je pensai que cette nature tranquille, cette nuit, ce silence me calmeraient peut-être ; ce parc où nous nous étions promenés toute la journée était là… Je pouvais retrouver dans les allées la trace de ses petits pieds qu’accompagnaient les miens ; je pouvais baiser les places où elle s’était assise : je me précipitai dehors.

Deux fenêtres seules étaient illuminées sur toute la large façade du château : c’étaient celles de sa chambre. Je m’appuyai contre un arbre et je collai mes yeux contre ses rideaux.

Je vis son ombre ; elle n’était point encore couchée, elle veillait brûlée, comme moi peut-être, de pensées et de désirs d’amour… Caroline, Caroline !