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ÆNEAS SYLVIUS.

cher dans le cœur d’un ami, d’une maîtresse ou du public (car les extrêmes se touchent), un confident de leurs sentimens, de leurs pensées, ou même de ce que l’expérience leur a appris ; ces hommes-là, soyez-en sûrs, sont imparfaits ou au moins incomplets. Le bavardage involontaire du cœur et de l’esprit est une des facultés de l’homme qui a le plus contribué à rendre la condition humaine tolérable, et quelquefois même assez douce. Si nous étions tous rigoureusement discrets et prudens, il n’y aurait que des égoïstes sur la terre.

On peut comparer les écrits que laissent successivement les hommes, chez les nations civilisées, à ces lignes de douleur, de joie passagère ou de désespoir, que les prisonniers gravent sur les murs des cachots où ils meurent enfermés.

Ces écrits, lorsque la source en est franche et naturelle, sont des témoignages arrachés à la conviction, à la conscience et aux passions de ceux qui les ont tracés : c’est un certificat que donne de son existence celui qui craint que cette existence ne soit révoquée en doute et ne tombe dans l’oubli. C’est aussi une protestation contre toutes les injustices dont on croit avoir été l’objet pendant sa vie ; enfin c’est une confession faite dans l’intérêt de la vérité absolue, vers laquelle tout homme se précipite malgré lui, sans s’embarrasser des avantages ou des inconvéniens qui peuvent en résulter. On a impérieusement besoin de sfogarsi, comme disent les Italiens ; on veut se débourrer le cœur, disons-nous avec moins d’élégance, sans doute, mais avec autant d’énergie. Les écrits, les conversations, les aveux, les lettres, les confessions, les mémoires, tout cela n’est que la précieuse transpiration du cœur humain, au moyen de laquelle la vie intellectuelle et expansive devient légère et bienfaisante pour ceux qui la vivent comme pour ceux qui en reçoivent l’influence.

Rien n’est d’une application plus générale à l’espèce humaine, que la fable du Barbier du roi Midas ; et, si toutes les plantes avaient la vertu loquace des roseaux du Pactole, il n’y a pas un pouce de terre qui ne fournît des moissons d’histoires, d’aveux et de confessions étranges. Il faut que ce besoin de dire ce que l’on sait, de transmettre une vérité que l’on a reconnue, soit bien naturel et bien fort, puisque les hommes du caractère le plus froid, de l’esprit le plus grave y ont cédé. En voici un exemple curieux :

Boccace raconte qu’un certain marquis de Montferrat, porte-enseigne de l’Église, était passé en Syrie avec l’armée des chrétiens. La vaillance de ce seigneur faisait grand bruit jusqu’à la cour de Philippe, roi de France, qui se disposait lui-même à faire le voyage de la Terre-Sainte. Comme on parlait un jour à ce prince du vaillant marquis, un chevalier,