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avec leurs femmes ; et, après quelques verres de vin bus, les maris s’en vont et cèdent leur place aux nobles. Rien n’est si commun que les filles qui se marient à leur goût, et à l’insu de leurs parens ; pour les veuves, il est rare qu’elles attendent la fin de leur deuil pour contracter de nouveaux liens. Aussi rien n’est moins ordinaire que de connaître les ancêtres de quelqu’un. Il n’y a presque pas d’anciennes familles ; presque toutes viennent de dehors ou ne s’y trouvent qu’en passant. On voit assez fréquemment des marchands riches et vieux épouser de jeunes personnes qu’ils laissent promptement veuves. Celles-ci qui, pendant leur mariage, vivaient avec de jeunes amans, les épousent bientôt après ; c’est comme cela qu’il arrive si souvent à Vienne qu’aujourd’hui on est pauvre et demain riche. Mais par contre-coup, si ces jeunes époux viennent à survivre à leurs femmes, ils se remarient à leur tour et font circuler la fortune. Très rarement un fils hérite de son père. Dans ce pays, il y a une loi qui veut que des deux époux, le survivant ait la moitié du bien du défunt. De plus la faculté de tester est libre, en sorte que les époux se font fort souvent une donation réciproque. On assure qu’il y a un bon nombre de femmes qui se chargent de débarrasser les épouses de leurs maris quand ils les ennuient ; ce qui est constant, c’est que plusieurs citoyens, qui avaient menacé leurs femmes, ont été mis à mort par les amans, gens de noblesse. Au surplus, il n’y a pas ici de loi écrite ; on suit les coutumes qui passent pour fort anciennes, et chacun, autant qu’il peut, les invoque et les interprète de manière à ce qu’elles soient favorables à ses intérêts. La justice se vend, et celui qui a de l’or peut pécher impunément ; toutes les rigueurs sont réservées aux pauvres. Un serment public, authentique, est scrupuleusement observé ; mais, s’il y a moyen de renier sa parole, on n’y manque pas. Les gens de ce pays ne craignent les excommunications qu’autant qu’elles notent d’infamie, ou qu’elles peuvent apporter quelques dommages aux intérêts temporels, car ils observent très peu religieusement les fêtes. On vend et on mange de la viande toute la semaine, et les jours fériés n’interrompent ni le travail ni l’activité dans la ville. »

En lisant le recueil de ces lettres, une question s’est présentée bien souvent à notre esprit. Est-ce la vanité littéraire d’Æneas Sylvius ou la conscience de Pie ii, qui en a préparé la publication ? Nous pensons que l’une et l’autre ont contribué à lui faire prendre cette détermination. Ces lettres sont au reste de véritables confessions. Il est essentiellement de la nature de l’homme de confesser à ses semblables ce qu’il a vu, ce qu’il sait, ce qu’il a senti, et de faire ces confessions de la manière la plus claire et la plus attachante possible. Tous ceux qui, au moins à deux ou trois époques de leur vie, n’ont pas éprouvé le besoin de cher-