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« Quant aux temples dédiés à Dieu et aux bienheureux saints, ils sont grands, splendides, bâtis en pierre de taille et ornés de colonnes. Dans toutes ces églises on voit des reliques saintes enveloppées ou entourées des ornemens les plus précieux en or, en argent, en pierres fines. Le clergé est riche, et l’ecclésiastique qui gouverne le chapitre de Saint-Étienne, ne reconnaît que le pape au-dessus de lui. Les quatre ordres mendians sont loin d’avoir besoin d’aumônes ici, et les Écossais, ainsi que les chanoines réguliers de Saint-Augustin, passent aussi pour fort riches. Dans un monastère fondé sous l’invocation de saint Jérôme, on reçoit les filles de joie qui se convertissent. Nuit et jour elles y chantent des cantiques en langue allemande, et l’on prétend que si l’une d’elles, par hasard, retombe dans ses anciennes habitudes, on la précipite aussitôt dans le Danube. Mais rien, assure-t-on, n’est si rare que ces accidens, et ces femmes mènent en général une très sainte vie.

« Il y a à Vienne une école, un gymnase, où l’on enseigne les arts libéraux, la théologie et le droit canon. Cet établissement est nouveau ; la concession en a été faite à la ville par le pape Urbain vi vers 1385. Le nombre des étudians qui s’y rendent de Hongrie et des parties supérieures de l’Allemagne est très grand. Deux théologiens s’y sont distingués. L’un, Henri de Hesse, élevé à Paris, mais qui revint à Vienne aussitôt que cette école fut ouverte, y a professé le premier, et a laissé quelques ouvrages recommandables. L’autre est Nicolas de Dinkelspuhel, Suédois de nation, dont les discours sont encore fort en vogue aujourd’hui. En ce moment il y a un certain Hasebach, théologien de mérite, auteur de diverses histoires, homme enfin dont je serais assez disposé à louer le savoir, s’il n’avait pas déjà mis vingt-deux ans à lire le premier chapitre d’Isaïe, sans avoir pu arriver jusqu’à la fin. L’inconvénient de ce gymnase, le défaut de ses professeurs, est de faire perdre beaucoup de temps aux élèves, en leur apprenant plus de mots que de choses. Les maîtres ne possèdent qu’un art : la dialectique. Quant à la musique, à la rhétorique, à l’arithmétique, ils n’y songent même pas. Bien que plusieurs de ces professeurs se mêlent d’enseigner la versification et les lettres, ils ne connaissent pas un poète, et toutes leurs leçons sont employées à discuter subtilement sur des mots. Il n’y a rien de solide dans leur enseignement. Aussi forment-ils peu de savans. D’ailleurs les étudians sont livrés à tous les genres de voluptés. N’étant soumis à aucun ordre, à aucune discipline, ils courent la ville nuit et jour, buvant, mangeant sans mesure, et ne manquant pas les occasions de molester les citoyens. L’effronterie des femmes est surtout la cause de ces désordres.

» On estime que la ville renferme cinquante mille âmes. Le conseil est