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ÆNEAS SYLVIUS.

promît de le reconnaître empereur de Constantinople, s’il se faisait catholique.

C’est assurément une lecture aussi divertissante qu’instructive que la correspondance du pape Pie ii. Depuis les affaires les plus sérieuses de son siècle jusqu’aux détails de mœurs les plus frivoles, tout y est passé en revue. L’élévation progressive de cet homme, ses nombreux voyages pendant lesquels il a pu étudier beaucoup d’hommes de pays divers, de conditions bien différentes, ont donné aux récits qu’il nous a laissés, une souplesse et une diversité singulières. Les descriptions qu’il a données des différentes parties de la terre peuvent certainement le faire classer, relativement à son siècle, au nombre des habiles géographes. Mais alors la géographie se bornait à une nomenclature, bien rarement accompagnée de renseignemens détaillés. En général, c’est ainsi que procède Æneas Sylvius dans ses descriptions des différentes parties du monde. Cependant il s’est écarté de cette habitude dans sa cent soixante-cinquième lettre où il fait un tableau fort curieux de la ville de Vienne en Autriche et de ses mœurs. Cette lettre qui n’a point de suscription ni de date, mérite d’être connue. La voici :


« Vienne n’a que deux mille pas de circuit, mais ses faubourgs et ses fortifications sont immenses. Ses fossés sont élevés en talus, et sur ses murs épais s’élèvent des tours nombreuses toujours préparées à la défense. Les maisons des citoyens y sont vastes, solidement bâties, bien ornées, et il s’y trouve ordinairement de grandes salles voûtées dont les habitans font ce qu’ils nomment des étuves. C’est là qu’ils demeurent, couchent et dorment pendant les rigueurs de l’hiver. Toutes les fenêtres sont garnies de vitres brillantes et entourées de grillages de fer servant de cage à des oiseaux qui y font entendre leurs chants. Quant aux meubles, ils sont riches et somptueux. Les écuries pour les chevaux et autres bêtes de somme sont très vastes. Au total, ces habitations, autant par leur étendue que par leur hauteur, présentent une apparence imposante. Dans l’intérieur comme à l’extérieur, elles sont couvertes de peinture, et lorsqu’on en approche, on les prendrait pour des demeures de princes. Cependant elles ont un défaut : toutes les toitures sont couvertes en bois, car rien n’est plus rare ici que la tuile.

« Les lieux habités par les nobles prélats sont francs, c’est-à-dire que la justice des magistrats de la ville y perd ses droits.

« Les caves destinées à recevoir le vin sont à la fois grandes, nombreuses, et elles ont plusieurs étages en profondeur. Les places publiques bien pavées font que les chariots y circulent avec aisance.