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écrire lorsque vous seriez arrivé dans votre pays. Je vous répondis que je ne vous écrirais que dans le cas où vous commenceriez par m’envoyer une lettre vous-même. Après avoir attendu long-temps votre initiative, et persuadé enfin que mon attente serait vaine, j’ai pris le parti de condescendre à votre désir et d’écrire le premier. Mais ne vous y trompez pas, en agissant ainsi, je fais autant pour moi que pour vous. Je suis sans cesse entouré de personnes qui me demandent avec curiosité quelle est la cause de notre brouillerie ; car, vous le savez, rien n’était plus connu que nos rapports d’amitié. Les uns me donnent tort, les autres vous accusent ; mais le plus grand nombre rejette la faute également sur nous deux. Dès que l’on me parle de ce sujet, je me défends moi-même, et je ne vous empêche pas d’en faire autant de votre côté. Procope le Bohémien, qui a beaucoup d’amitié pour moi, n’a pu être dissuadé qu’à force de longs raisonnemens, parce que vous l’aviez préparé favorablement pour vous. Cet homme était d’opinion que j’avais plus de torts que vous, mais il s’est rendu à mes raisons, et maintenant il vous condamne. Je vous l’avouerai, il est fatigant pour moi de redire perpétuellement ma défense à tous ceux qui m’interrogent, et j’ai pris le parti d’écrire. J’ai suivi l’exemple d’un certain Papio, Florentin, qui, ayant fait une tache d’huile à son vêtement, eut l’idée, pour éviter de répondre aux questions qu’on lui adressait sur la nature de cette tache, d’attacher auprès un petit écriteau sur lequel on lisait : « C’est de l’huile. » Par ce moyen, il s’épargna l’ennui de réponses continuelles. J’écrirai donc les raisons pour lesquelles j’ai cru devoir vous retirer mon amitié. Par ce moyen, je satisferai tout à la fois à la curiosité de tous et au désir que vous avez manifesté que je vous écrive.

« Je l’avoue, c’est moi dont l’amitié a commencé à se refroidir lorsque je me suis aperçu que l’homme que j’avais choisi pour mon ami, ne pourrait pas l’être toujours. On aurait donc lieu de s’étonner de ce que notre union ayant duré deux ans, a pu discontinuer ; car le cours de la vie est à peine suffisant pour cimenter et contracter une amitié véritable. Il y a des gens qui, dans le commencement d’une liaison, paraissent doux et modestes, et qui, avec le temps, se montrent tels qu’ils sont. Les défauts naturels ne sauraient rester cachés : à la longue, tôt ou tard, on finit par laisser voir ce que l’on est. Quand les choses vont ainsi, l’amitié cesse, parce que ce que l’on aimait est perdu. Vous devez comprendre où j’en veux venir. Oui, je pensais bien que vous aviez quelques défauts, mais je vous croyais un tout autre homme que vous n’êtes. J’avais pensé que vous aviez les mêmes goûts, les mêmes penchans que moi, et alors je vous ai aimé. Je suppose que vous avez mis quelque adresse à me faire croire que