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des poètes, et je vous préviens que j’ai trouvé le remède que je vous indique dans les boutiques de Vienne. Sérieusement, mon ami, tâchez de vous ravoir, et qu’il ne soit pas dit qu’un homme de votre trempe, dont l’empereur lui-même n’aurait pas bon marché, soit dominé et vaincu par une petite fille. Je ne parlerai pas plus que vous ne le faites vous-même, du remède indiqué par Ovide, c’est-à-dire de prendre une nouvelle maîtresse ; car c’est se tirer de dessus des charbons ardens pour se jeter dans les flammes. Fuyez les femmes, mon ami, garez-vous de cette peste, et croyez que c’est le diable en personne. Je pense bien que je parle en vain, et que vous n’ajoutez pas foi à mes discours, parce que vous vous imaginez que je suis comme ces gens qui, avec l’estomac bien garni, recommandent le jeûne aux autres. Eh bien ! oui, j’ai l’estomac plein ; oui, je suis rassasié et las même de l’amour. Oui, il est vrai aussi que les forces me quittent, que mes cheveux blanchissent, que mes os deviennent rigides, que ma peau se ride, et qu’enfin je ne plais pas plus aux femmes à présent qu’elles ne me plaisent. À l’amour a succédé le vin, qui me nourrit, qui m’égaie, qui me rend heureux. Aussi cette douce liqueur me sera-t-elle chère jusqu’à la mort, et j’aurai soin, pour ne pas faire de mon goût un péché, de m’arrêter au besoin et de ne pas aller trop souvent jusqu’au plaisir. Pour vous, mon cher Jean, qui êtes dispos, fort et bien portant, je ne m’étonne pas que vous aimiez encore ; mais c’est précisément le cas le plus favorable pour montrer son courage et sa vertu ; car, il faut le dire, j’ai très peu de mérite à être chaste aujourd’hui, j’ai plus peur de Vénus encore qu’elle n’a peur de moi. Mais enfin je rends grâce au ciel de ce que je ne désire absolument que ce que je puis obtenir. Vous dites, à propos de vous, que l’on ne doit pas abandonner le combat tant que la victoire n’a pas été entièrement favorable à l’ennemi. Mais prenez-y garde, cela n’est pas vrai quand il s’agit de ces guerres où le vainqueur se trouve être aussi le vaincu. Soyez certain que celui qui a livré beaucoup de combats amoureux, ne peut pas s’en tirer sans avoir éprouvé de grandes défaites. Mais je ne sais en vérité pourquoi je fais tant le sévère. Quand nous nous portons bien, nous avons la rage de donner des conseils aux malades ; aussi m’appliquerez-vous sans doute ces paroles de Térence : « Si vous étiez à ma place, vous penseriez tout autrement. » Mais j’ai senti ce que vous sentez maintenant, et bientôt, quand l’âge vous sera venu, vous sentirez aussi ce que je sens. Ce qu’il y a de certain, c’est que si vous pouviez résister à vos passions pendant qu’elles sont encore brûlantes, vous en mériteriez d’autant plus de louanges. Que nous voudrions vous voir ici ! c’est un souhait que nous formons souvent, Michel et moi, lorsque nous nous réunis-