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dans le négociateur, l’évêque ou le pape. C’est pourquoi les lettres que nous allons citer, sont celles qui se rattachent particulièrement à la vie privée de celui qui les a écrites. Elles ne sont pas toujours très édifiantes ; mais la franchise qui y règne annonce une telle bonhomie, on y voit si bien que le pape Pie ii n’a jamais oublié qu’il était homme, qu’on aura sans doute pour lui la même indulgence qu’il avait pour les autres.

Voici, par exemple, une lettre publiée par ce pontife, mais écrite, il est vrai, à l’âge de trente ans.


Æneas Sylvius, poète impérial, à son père Sylvius :


Salut,

« Je vous écris, mon père, dans l’incertitude où je suis de savoir si vous serez satisfait ou mécontent de ce que le Seigneur m’a rendu père. Quant à moi, j’y trouve un sujet de joie et point du tout de chagrin. Qu’y a-t-il, en effet, de plus consolant pour l’homme que de reproduire son semblable et de donner, en quelque sorte, de l’extension à son être ? de laisser quelqu’un qui reste après vous ? Je vous l’avoue, je ne connais pas de joie supérieure à celle-là, et je rends grâce à Dieu, de plus, de ce qu’en me donnant un fils, je verrai ce petit Æneas jouer bientôt dans vos bras, dans ceux de ma mère, et égayer et charmer votre vieillesse. Mais je vous entends ; vous allez me reprocher mon crime et gémir de ce que, si j’ai un fils, je ne l’ai obtenu qu’en faisant un péché. En vérité, je ne sais quelle idée vous avez de moi ; mais il n’est pas possible que vous, qui êtes de chair et d’os, ayez la prétention d’avoir donné la vie à un fils qui serait de métal ou de pierre. Je ne suis donc pas de pierre ; outre cela, je suis la franchise même, je ne veux pas me donner pour meilleur que je ne suis : aussi vous avouerai-je ingénument ma faute, parce que je ne suis pas plus saint que le prophète David, ni plus sage que le roi Salomon. La chair est faible, et à tous péchés miséricorde.

« Maintenant, pour éviter que l’on ne vous fasse des mensonges sur cette aventure, je vous dirai comment la chose a eu lieu. Il y a deux ans qu’étant à Strasbourg, je restai plusieurs jours oisif dans cette ville. Il arriva qu’une femme, jolie, assez jeune encore et venant d’Angleterre, descendit à l’auberge que j’habitais. Comme elle parlait fort bien l’italien, elle me donna le salut dans cette langue, chose qui me fit d’autant plus de plaisir qu’elle est plus rare ici. Cette femme parlait avec beaucoup de grâce, et je pris un plaisir extrême à l’entendre débiter mille choses des plus agréables. Je me souvins alors des effets de l’éloquence séduisante de Cléopâtre, qui subjugua non-seulement Antoine, mais le