Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 3.djvu/520

Cette page a été validée par deux contributeurs.
514
REVUE DES DEUX MONDES.

Dans Don Carlos, Posa dit à Philippe ii : « Je ne puis être serviteur des princes ; je ne puis distribuer à vos peuples ce bonheur que vous faites marquer à votre coin. » Quel est le jeune homme, ayant du talent ou non, mais ayant quelque énergie, qui ne se sente battre le cœur à ces paroles ? Sans doute, la liberté engendre la licence ; mais la licence vaut mieux que la servilité, que la domesticité littéraire. Ce mot ne m’appartient pas ; c’est un homme redoutable et franc dans ses critiques, qui l’a trouvé. Je m’en sers là, parce qu’il peint d’un trait.

Et, sous quel prétexte, s’il vous plaît, aujourd’hui que les arts sont plus que jamais une république, rêve-t-on les associations ? Sous prétexte que l’art se meurt ? Nouvelle bouffonnerie ! les uns disent que l’art existe, les autres qu’il n’existe pas. Je vous demande un peu ce que c’est qu’un être, une chose, une pensée, sur lesquels on peut élever un pareil doute ? Ce dont je doute, je le nie.

Il n’y a pas d’art, il n’y a que des hommes. Appelez-vous art, le métier de peintre, de poète ou de musicien, en tant qu’il consiste à frotter de la toile ou du papier ? Alors il y a un art tant qu’il y a des gens qui frottent du papier et de la toile. Mais si vous entendez par là ce qui préside au travail matériel, ce qui résulte de ce travail ; si en prononçant ce mot d’art, vous voulez donner un nom à cet être qui en a mille : inspiration, méditation, respect pour les règles, culte pour la beauté, rêverie et réalisation ; si vous baptisez ainsi une idée abstraite quelconque, dans ce cas-là, ce que vous appelez art, c’est l’homme.

Voilà un sculpteur qui lève sur sa planche sa main pleine d’argile. Où est l’art, je vous prie ? Est-ce un fil de la bonne vierge, qui traverse les airs ? Est-ce le lointain murmure des conseils d’une coterie, des doctrines d’un journal, des souvenirs de l’atelier ? L’art, c’est le sentiment ; et chacun sent à sa manière. Savez-vous où est l’art ? dans la tête de l’homme, dans son cœur, dans sa main, jusqu’au bout de ses ongles.

À moins que vous n’appeliez de ce nom l’esprit d’imitation, la règle seule, l’éternelle momie que la pédanterie embaume ; alors vous pouvez dire en effet que l’art meurt, ou qu’il se ranime. Et qu’on ne s’y trompe pas : dans tous les conseils à la jeunesse, il y a quelque sourde tentation de la faire imiter ; on lui parle d’indé-