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Lorsqu’il vit que j’hésitais à le prendre, il le roula entre ses mains, lui fit prendre la forme d’une bourre et en chargea son fusil.

Lorsqu’il eut fini, il posa la main sur mon bras. – Est-ce que tout ce que vous avez écrit là est vrai ? me dit-il. Est-ce que vos souffrances sont telles que vous les dépeignez ? est-ce que vos jours et vos nuits sont devenus un pareil enfer ? dites-moi vrai cette fois-ci…

— Serais-je excusable sans cela, général ?

— Eh bien ! mon enfant, reprit-il avec son ton de voix habituel, alors il faut partir, nous quitter, voyager en Italie ou en Allemagne, et ne revenir que guéri.

Je lui tendis la main, il la serra cordialement.

— Ainsi c’est entendu, me dit-il.

— Oui, général, je pars demain.

— Je n’ai pas besoin de vous dire que si vous avez besoin d’argent, de lettres de recommandation…

— Merci.

— Écoutez, je vous offre cela, comme le ferait un père ; ne vous en fâchez point. Vous ne voulez pas, décidément ? Eh bien ! mettons-nous en chasse et n’en parlons plus.

Au bout de dix pas, une perdrix partit ; le général lui envoya son coup de fusil, et je vis ma lettre fumer dans la luzerne.

À cinq heures, nous revînmes au château ; j’avais voulu quitter le général avant d’y entrer, mais il avait insisté pour que je l’accompagnasse.

— Voici, mesdames, dit-il en entrant dans le salon, un beau jeune homme qui vient vous faire ses adieux ; il part demain pour l’Italie.

— Ah ! vraiment ? Monsieur nous quitte ? dit Caroline en levant ses yeux de dessus sa broderie. Elle rencontra les miens, soutint tranquillement mon regard deux ou trois secondes, et se remit à travailler.

Chacun parla à son tour de ce voyage si brusque, dont je n’avais pas dit un seul mot les jours précédens ; mais nul n’en devina la cause.

Madame M… me fit les honneurs du dîner avec une grâce parfaite.