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ALDO LE RIMEUR.

pour leur compte, et celui qui ne sait pas vivre pour lui-même est un voleur qui dépouille, ou un mendiant qui assiège.

Meurs donc, lâche, il est bien temps d’en finir ! tu t’es bien assez cabré sous la nécessité ! tes flancs ont saigné, et tu n’as pas fait un pas en avant ! Résigne-toi donc à mourir sans avoir été heureux !…

Hélas ! hélas ! mourir, c’est horrible !… Si c’était seulement saigner, défaillir, tomber !… mais ce n’est pas cela. Si c’était porter sa tête sous une hache, souffrir la torture, descendre vivant dans le froid du tombeau ! mais c’est bien pis : c’est renoncer à l’espérance, c’est renoncer à l’amour, c’est prononcer l’arrêt du néant sur tous ces rêves enivrans qui nous ont leurrés, c’est renoncer à ces rares instans de volupté qui faisaient pressentir le bonheur, et qui l’étaient peut-être !

Au fait, un jour, une heure dans la vie, n’est-ce pas assez, n’est-ce pas trop ! Agandecca ! vous m’avez dit des mots qui valaient une année de gloire, vous m’avez causé des transports qui valaient mieux qu’un siècle de repos. Ce soir, demain, vous me donnerez un baiser qui effacera toutes les tortures de ma vie, et qui fera de moi un instant le roi de la terre et du ciel !

Mais pourquoi retomber toujours dans l’abîme de douleur ? pourquoi chercher ces joies, si elles doivent finir, et si je ne sais pas y renoncer ? Les autres se lassent et se fatiguent de leurs jouissances. Moi, la jouissance m’échappe et le desir ne meurt pas ! Ô amour ! éternel tourment !… soif inextinguible !

Si je quittais la reine ?… Mais je ne le pourrai pas, et si je le puis, j’aimerai une autre femme qui me rendra plus malheureux. Je ne saurai pas vivre sans aimer. L’amour ou l’amitié ne me paieront pas ce que je dépenserai de mon cœur pour les alimenter !… Comment ai-je pu vivre jusqu’ici ? Je ne le conçois pas. Suis-je le plus courageux ou le plus lâche de tous les hommes ? — Je ne sais pas, et comment le savoir ? — Celui qui souffre pour donner du bonheur aux autres… oui, celui-là est brave… mais celui qui souffre et qui importune, celui qui veut du bonheur et qui n’en sait pas donner !…

Oh ! décidément je suis un lâche ! comment ne m’en suis-je pas convaincu plus tôt ?

(Il tire son épée.)