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ALDO LE RIMEUR.

nous poursuivons toujours dans la nue, et qui nous faites courir après vous sans regarder où nous mettons les pieds, pourquoi revêtez-vous des formes sensibles, pourquoi vous déguisez-vous en femmes ? Appelez-vous la vérité, appelez-vous la beauté, appelez-vous la poésie ; ne vous appelez pas Jane, Agandecca, l’amour.

Tu te plains, malheureux ! Et qu’as-tu fait pour être mieux traité que les autres ? Pourquoi cette insolente ambition d’être heureux ? Pourquoi n’es-tu pas fier de ton laurier de poète, et de l’amour d’une reine ? Et si cela ne te suffit pas, pourquoi ne cherches-tu pas dans la réalité d’autres biens que tu puisses atteindre ? Suffolk était aimé de la reine ; il voulait plus que partager sa couche, il voulait partager son trône. Athol fut aimé de la reine ; il s’ennuyait souvent près d’elle, il desirait la gloire des combats, et le laurier teint de sang, qui lui semblait préférable à tout. Suffolk, Athol, vous étiez des ambitieux, mais vous n’étiez pas des fous ; vous desiriez ce que vous pouviez espérer ; la puissance, la victoire, l’argent, l’honneur, tout cela est dans la vie ; l’homme tenace, l’homme brave doivent y atteindre, La reine a chassé Suffolk ; mais il règne sur une province, et il est content. Athol a été disgracié ; mais il commande une armée, et il est fier.

Moi, que puis-je aimer après elle ? Rien. Où est le but de mes insatiables désirs ? dans mon cœur, au ciel, nulle part peut-être ? Qu’est-ce que je veux ? un cœur semblable au mien, qui me réponde ; ce cœur n’existe pas, on me le promet, on m’en fait voir l’ombre, on me le vante, et quand je le cherche, je ne le trouve pas. On s’amuse de ma passion comme d’une chose singulière, on la regarde comme un spectacle, et quelquefois l’on s’attendrit et l’on bat des mains ; mais le plus souvent on la trouve fausse, monotone et de mauvais goût. On m’admire, on me recherche et on m’écoute, parce que je suis un poète ; mais quand j’ai dit mes vers, on me défend d’éprouver ce que j’ai raconté, on me raille d’espérer ce que j’ai conçu et rêvé. Taisez-vous, me dit-on, et gardez vos églogues pour les réciter devant le monde ; soyez homme avec les hommes, laissez donc le poète sur le bord du lac où vous le promenez, au fond du cabinet où vous travaillez. — Mais le poète, c’est moi ! Le cœur brûlant qui se répand en vers brûlans, je ne puis l’arracher de mes entrailles. Je ne puis étouffer dans mon sein