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une part des souffrances d’autrui ; et ils disent que je suis lâche, ils rient de la sensibilité niaise du poète ! et ils ont raison, car ils sont tous d’accord, ils sont tous semblables. Ils sont forts les uns par les autres.

Je suis seul, moi ! et j’ai vécu seul jusqu’ici. Suis-je lâche ? J’ai eu besoin d’amitié, et, ne l’ayant point trouvée, j’ai su me passer d’elle. J’ai eu besoin d’amour, et, n’en pouvant inspirer beaucoup, voilà que j’accepte le peu qu’on m’accorde. Je me soumets, et l’on me raille. Je pleure tout bas, et l’on me méprise.

C’est donc une lâcheté que de souffrir ! C’est comme si vous m’accusiez d’être lâche, parce qu’il y a du sang dans mes veines, et qu’il coule à la moindre blessure. C’est une lâcheté aussi que de mourir quand on vous tue ! Mais que m’importait cela ? N’avais-je pas bien pris mon parti sur les railleries de mes compagnons, n’avais-je pas consenti à montrer mon front pâle au milieu de leurs fêtes et à passer pour le dernier des buveurs ? N’avais-je pas livré mes vers au public, sachant bien que deux ou trois sympathiseraient avec moi, sur deux ou trois mille qui me traiteraient de rêveur et de fou ? Après avoir souffert du métier de poète, en lutte avec la misère et l’obscurité, j’avais souffert plus encore du métier de poète aux prises avec la célébrité et les envieux ! Et pourtant j’avais pris mon parti encore une fois. Ne trouvant pas le bonheur dans la richesse et dans ce qu’on appelle la gloire, je m’étais réfugié dans le cœur d’une femme, et j’espérais. Celle-là, me disais-je, est venue me prendre par la main au bord du fleuve où je voulais mourir. Elle m’a enlevé sur sa barque magique, elle m’a conduit dans un monde de prestiges qui m’a ébloui et trompé, mais où du moins elle m’a révélé quelque chose de vrai et de beau, son propre cœur. Si les vains fantômes de mon rêve se sont vite évanouis, c’est qu’elle était une fée, et que sa baguette savait évoquer des mensonges et des merveilles ; mais elle est une divinité bienfaisante, cette fée qui me promène sur son char. Elle m’a leurré de cent illusions pour m’éprouver ou pour m’éclairer. Au bout du voyage, je trouverai derrière son nuage de feu, la vérité, beauté nue et sublime que j’ai cherchée, que j’ai adorée à travers tous les mensonges de la vie, et dont le rayon éclairait ma route au milieu des écueils où les autres brisent le cristal pur de leur vertu. Fantômes qui nous égarez, ombres célestes que