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REVUE DES DEUX MONDES.

nonce le repas du soir. J’y vais porter votre santé à mes convives dans une coupe d’or, et parler de vous avec des hommes qui vous admirent. Restez ici, penchez-vous sur cette balustrade, et entretenez-vous avec les sylphes. S’ils ne me trouvent pas indigne d’un souvenir, parlez-leur de moi ; et si, malgré cette nourriture céleste, il vous arrive de ressentir la vulgaire nécessité de la faim, venez trouver votre reine et vos amis. Au revoir. — Mais qu’est-ce donc ? Vous avez baisé bien tristement ma main, et vous y avez laissé tomber une larme ! Quoi ! vous êtes triste encore ? je vous ai encore blessé ? Oh ! mais cela est insupportable. Allons, mon cher amant, remettez-vous et soyez plus sage ; je vous aime tendrement, je vous préfère aux plus grands rois de la terre. Faut-il vous le répéter à toute heure ? ne le savez-vous pas ? Venez, que je baise votre beau front. Séchez vos larmes et venez me rejoindre bientôt.



Scène IV.


ALDO, seul.

Elle a raison, cette femme ! elle a raison devant Dieu et devant les hommes ! Moi, je n’ai raison que devant ma conscience. Je ne puis avoir d’autre juge que moi-même, et ne puis me plaindre qu’à moi-même. — Car, enfin, il ne dépend pas de moi d’être autrement. Tout m’accuse d’affectation ; mais on n’est pas affecté, on n’est pas menteur avec soi-même. Je sais bien, moi, que je suis ce que je suis. Les autres sont autres, et ne me comprenant pas, ils me nient ; ils sont injustes, car moi je ne nie pas leur sincérité ; ils me disent qu’ils sont courageux, je pourrais leur répondre qu’ils sont insensibles. Mais j’accepte ce qu’ils me disent, je consens à les reconnaître courageux. Mais s’ils le sont, pourquoi me reprochent-ils impitoyablement de ne l’être pas ? Si j’étais Hercule, au lieu de mépriser et de railler les faibles enfans que je trouverais haletant et pleurant sur la route, je les prendrais sur mes épaules, je les porterais une partie du chemin, dans ma peau de lion. Que serait pour moi ce léger fardeau, si j’étais Hercule ? — Vous ne l’êtes pas, vous qui vous indignez de la faiblesse d’autrui. Elle ne vous révolte pas,