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ALDO LE RIMEUR.

pourrait-il se plaindre ? n’a-t-elle pas disgracié pour lui le duc de Suffolk, l’astre le plus brillant de la cour ?

LA REINE.

Oh ! le grand sacrifice ! je ne l’aimais plus !

TICKLE.

Il n’avait jamais d’ailleurs été bien aimable.

LA REINE.

Il ne faut pas dire cela ; c’était un homme d’esprit et plein de nobles qualités.

TICKLE.

Oh ! oui, généreux, brave, désintéressé !…

LA REINE.

Ceci est faux ; il était plus épris de mon rang que de ma personne.

TICKLE.

C’est le malheur des rois.

LA REINE.

Et c’est ce qui me fait chérir l’amour de mon poète : lui du moins m’aime pour moi seule. Il sait à peine si je suis reine. Il n’en est point ébloui ; même il en souffre, et je crois qu’il me le pardonne.

TICKLE.

Votre Grâce est-elle bien sûre que dans son orgueil de poète, il ne préfère point sa condition à celle d’un roi ?

LA REINE.

S’il le fait, il fait bien. Le laurier du poète est la plus belle des couronnes, la plume d’un grand écrivain est un sceptre plus puissant que les nôtres. Moi, j’aime qu’un esprit supérieur sache ce qu’il est et ce qu’il peut être, c’est ainsi qu’on arrive aux grandes actions.

TICKLE.

Aussi je crois que le poète Aldo est réservé à de hautes destinées. Il est digne de commander aux hommes, et un mot de votre grâce pourrait l’élever au véritable rang qu’il est né pour occuper…

LA REINE.

Si je ne te savais profondément hypocrite, ô mon cher Tickle, je te dirais que tu es parfaitement imbécille. Qui ? lui ! être mon