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ALDO LE RIMEUR.

où l’on vend des singes, des tortues, des squelettes d’homme et des peaux de serpent. L’âme d’un poète est une boutique où le public vient marchander toutes les formes du désespoir : celui-ci estime l’ambition déçue sous la forme d’une ode au dieu des vers ; celui-là s’affectionne pour l’amour trompé, rimé en élégie. Cet autre rit aux éclats d’une épigramme qui partit d’un sein rongé par la colère, d’une bouche amère de fiel. Pauvre poète ! chacun prend une pièce de ton vêtement, une fibre de ton corps, une goutte de ton sang, et quand chacun a essayé ton vêtement à sa taille, éprouvé la force de tes nerfs, analysé la qualité de ton sang, il te jette à terre avec quelques pièces de monnaie pour dédommagement de ses insultes, et il s’en va, se préférant à toi dans la sincérité de ses pensées insolentes et stupides. — Ô gloire du poète, laurier, immortalité promise, sympathie flatteuse, haillons de royauté, jouets d’enfant ! que vous cachez mal la nudité d’un mendiant couvert de plaies ! Ô méprisables ! méprisables entre tous les hommes, ceux qui, pouvant vivre d’un autre travail que celui-là, se font poètes pour le public ! misérables comédiens qui pourriez jouer le rôle d’hommes, et qui montez sur un tréteau pour faire rire et pleurer les désœuvrés ! n’avez-vous pas la force de vivre en vous-mêmes, de souffrir sans qu’on vous plaigne, de prier sans qu’on vous regarde ? Il vous faut un auditoire pour admirer vos puériles grandeurs, pour compatir à vos douleurs vulgaires ! Celui qui est né fils de roi, d’histrion ou de bourreau suit forcément la vocation héréditaire ; il accomplit sa triste et honteuse destinée. S’il en triomphe, s’il s’élève seulement au niveau des hommes ordinaires, qu’il soit loué et encouragé ! Mais vous, grands seigneurs, hommes instruits, hommes robustes, vous avez la fortune pour vous rendre libres, la science pour vous occuper, des bras pour creuser la terre en cas de ruine, et vous vous faites écrivains ! et vous nous livrez les facultés débauchées de votre intelligence, vous cherchez la puissance morale dans l’épanchement ignoble de la publicité ! vous appelez la populace autour de vous, et vous vous mettez nus devant elle pour qu’elle vous juge, pour qu’elle vous examine et vous sache par cœur ! Oh ! lâche ! si vous êtes difforme, et si, pour obtenir la compassion, vous vous livrez au mépris ! lâche encore plus si vous êtes beau et si vous cherchez dans la foule l’approbation