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REVUE. — CHRONIQUE.

ce pauvre M. Soult, qui a déclaré à la tribune qu’il se ferait tuer sur ses feuilles d’émargement plutôt que de céder un centime aux contribuables, tous dotés et millionnaires, comme on sait ; M. Soult a-t-il bien aussi une opinion, un système ? Est-il l’homme d’un système politique, ce M. Barthe, qui accumule parcimonieusement, tristement, solitairement, grain à grain comme la fourmi, les deniers de sa place ? Et M. Guizot, si bilieux et si dominé par sa colère ; et M. d’Argout, si étroit, si mesquin, si savant commis, si ignorant ministre ! Unissez ou divisez, s’il se peut, tous ces hommes-là par de grands principes, et jugez de leurs actes par les vues qu’on leur suppose. Autant vaudrait calculer mathématiquement les résultats d’une pierre qu’on lance au loin, qui comble un trou dangereux ou détruit une fleur rare, qui brise indifféremment la tête d’un honnête homme ou qui écrase un reptile.

Sans doute, on parla de Tœplitz, de l’Europe, des carlistes et de l’état des esprits dans le conseil où s’agita, en dernier lieu, la question de la dissolution de la chambre. Mais, la veille, un éminent personnage avait pris à part un de ses familiers, et lui avait dit d’un ton douloureux, qu’une dissolution l’obligerait à faire un voyage dans plusieurs départemens pour y retremper un peu l’opinion publique. « Or les voyages sont fort dispendieux, disait-il, et l’argent me manque absolument. En vérité, plus j’y pense, plus je me sens de motifs pour m’opposer à la dissolution de la chambre. »

M. Thiers partageait cet avis. M. Thiers avait aussi de hautes raisons politiques, si hautes et si importantes, que, ce jour-là, il avait fait inviter à Neuilly, M. Mignet, son confident et son ami, qui s’était chargé de l’appuyer de toute son éloquence. Les deux historiens de la révolution ne manquèrent pas d’exemples pour démontrer le danger de la mesure que soutenaient M. de Broglie et M. Guizot. Heureusement, ils parlaient à quelqu’un qui avait déjà puisé autre part que dans l’histoire ses raisons pour être de leur avis.

Je ne pense pas que personne soit tenté de blâmer M. Thiers du motif qui le portait à repousser la dissolution de la chambre. M. Thiers avait la crainte de ne pas être réélu à Aix. Le pays eût été privé d’un grand ministre, et la chambre d’un grand député.

M. Thiers, qui est un homme à expédiens, avait cependant prévu le cas où ce malheur aurait lieu. Nous parlons du malheur de M. Thiers. Ruminant, comme Scapin, quelque moyen de se tirer d’affaire, et parcourant avec attention toutes les statistiques électorales que lui déroulait complaisamment son collègue, M. d’Argout, il avait découvert, un beau matin, que dans une petite commune du midi, qui faisait autrefois partie du