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IMPRESSIONS DE VOYAGES.

— L’homme est le maître de ses actions, répondit le chartreux, mais il ne l’est pas de ses desirs.

— Votre desir à vous est bien sombre, mon père.

— Il est selon mon cœur.

— Vous avez donc bien souffert ?

— Je souffre toujours.

— Je croyais que le calme seul habitait cette demeure ?

— Le remords entre partout.

Je regardai plus fixement cet homme, et je reconnus celui que j’avais vu cette nuit à l’église prosterné et sanglotant. Lui me reconnut aussi.

— Vous étiez cette nuit à matines ? me dit-il.

— Près de vous, je crois, n’est-ce pas ?

— Vous m’avez entendu gémir ?

— Je vous ai vu pleurer.

— Qu’avez-vous pensé de moi alors ?

— Que Dieu vous avait pris en pitié, puisqu’il vous accordait les larmes.

— Oui, oui, depuis qu’il me les a rendues ; j’espère aussi que sa vengeance se lasse.

— N’avez-vous point essayé d’adoucir vos chagrins en les confiant à quelqu’un de vos frères ?

— Chacun ici porte un fardeau mesuré pour sa force ; ce qu’un autre y ajouterait le ferait succomber.

— Cela vous aurait pourtant fait du bien.

— Je le crois comme vous.

— C’est quelque chose, continuai-je, qu’un cœur qui nous plaint et qu’une main qui serre la nôtre !

Je pris sa main et la serrai. Il la dégagea de la mienne, croisa ses bras sur sa poitrine, me regarda en face comme pour lire par mes yeux dans le plus profond de mon cœur.

— Est-ce de l’intérêt ou de l’indiscrétion ? me dit-il… êtes-vous bon ou tout simplement curieux ?

Ma poitrine se serra…

— Votre main une dernière fois, mon père !… et adieu. — Je m’éloignai.

— Écoutez, reprit-il. — Je m’arrêtai. Il vint à moi. — Il ne