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MÉLANGES.

il avait embarqué de la cassave et du porc salé, il avait un nègre et une jument qui poulina pendant la traversée. Or, en ce temps-là on ne pouvait trouver de nègres et de chevaux qu’en les payant leur pesant d’or.

C’est des chevaux que portèrent les Espagnols en Amérique que descendent tous ceux qu’on trouve aujourd’hui dans ce pays à l’état sauvage, car même ceux que l’on rencontre dans le sud-ouest des États-Unis paraissent y être arrivés par le Nouveau-Mexique, et on peut encore reconnaître à quelques signes la race dont ils descendent. Quant aux chevaux que les Anglais ont introduits, ils ont subi encore moins d’altération, n’ayant depuis ce temps jamais été soustraits à l’influence de l’homme. Si on peut remarquer quelque changement, c’est moins dans leur extérieur que dans leur intelligence qui semble avoir gagné, probablement à cause de la douceur avec laquelle ils sont traités. Parmi plusieurs traits que j’ai entendu citer comme preuves de ce perfectionnement, je choisirai le suivant qui me paraît le mieux constaté.

En 1831, M. Israël Abraham, demeurant auprès de Centreville, dans l’état d’Indiana, possédait un cheval qui avait appris de lui-même à faire mouvoir le balancier d’une pompe, de manière à verser dans l’auge placée au-dessous, la quantité d’eau nécessaire pour abreuver tous les chevaux de la ferme. Nous avons été nous-même témoin du fait, dit le rédacteur du Centreville Times. Nous avons vu l’animal, au moment où il venait d’être dételé, se rendre directement à la pompe, en saisir le balancier avec les dents et le faire jouer avec la régularité qu’un homme aurait pu mettre à cette action. Il ne s’arrêta qu’après avoir fait couler l’eau nécessaire pour son usage et celui de ses compagnons. Le maître de la ferme, à qui l’habileté de ce cheval épargne bien de la peine, nous assure que personne n’avait pris le soin de le former à cette manœuvre.

Dans plusieurs parties de l’Amérique du sud, se trouve une race de chevaux, chez laquelle une qualité acquise d’abord par l’éducation est devenue héréditaire. Ces chevaux que, dans la Colombie, on connaît sous le nom d’Aguilillas, ont naturellement une sorte d’amble allongé, allure que les créoles estiment beaucoup, parce qu’elle est très rapide, et que, ne fatiguant ni l’animal ni l’homme, elle peut être long-temps soutenue. Les personnes qui n’ont vu aller l’amble qu’aux chevaux de nos marchands forains ne peuvent avoir une idée du pas dont je parle, et de ce que fait un bon cheval andon[1] monté par un habile cavalier. Dans des courses qui eurent lieu à Bogota à l’époque où je m’y trouvais, un habitant de

  1. Le mot d’andon sert à désigner le cheval qui a cette allure, soit qu’il l’ait acquise, soit qu’elle lui vienne de race.