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senter les droits de la cheftainerie, il y avait encore des conseils composés de chefs militaires, qui décidaient des affaires de la nation avec le roi[1] ; de grandes revues de troupes, fixées ordinairement au mois de mars ou de mai recevaient communication des choses traitées dans ces assemblées particulières : et cela dura ainsi entre les conquérans jusqu’au moment où le peuple, représenté par l’Église, se trouva posséder à son tour une portion du territoire. Alors des évêques entrèrent dans les conseils du roi ; des députés ecclésiastiques furent envoyés aux Champs-de-Mars et de Mai, et les trois ordres de propriétaires se trouvèrent représentés : la royauté par le roi, la cheftainerie par le maire, et l’église ou le peuple par les évêques.

Le renversement de la dynastie des Mere-wigs, par celle des Carolingiens, amena une lacune dans la représentation de ces pouvoirs. La cheftainerie avait tué la royauté, et s’était faite reine à sa place : elle crut donc la royauté et la cheftainerie confondues à jamais en un seul pouvoir et elle oublia que sous la faux du moissonneur pousse déjà une moisson nouvelle. Comme il n’y avait plus de cheftainerie, il n’était plus besoin d’un représentant de cette caste : comme cette caste était confondue avec la royauté, elle ne pouvait plus élire de roi. En conséquence, la charge de maire du palais fut supprimée, et Karl-le-Grand prit pour exergue de sa monnaie : Carolus gratia Dei rex.

Ainsi avec la cheftainerie faite reine se trouve détruit le principe électif qui fait les rois.

Karl fut donc le premier et le dernier chef tout-puissant de la race conquérante : car ses prédécesseurs avaient eu à lutter contre la cheftainerie, et ses successeurs devaient avoir à lutter contre la vassalité. Sous lui, au contraire, rien ne ressemble à une résistance quelconque de la part d’une caste, dont il foule sous ses sandales la tête qui sort à peine de terre. Ses ordres ne sont ni approuvés ni contrôlés : il les donne, et l’on obéit ; il veut des lois, et les capitulaires succèdent au code théodosien ; il veut une armée, elle se lève ; il veut une victoire, il combat.

Il fallait cette unité de pouvoir et de force pour que Karl pût remplir sa mission et arriver à son but ; il fallait qu’une même intelligence eût élevé sur un plan unitaire les remparts de ce vaste empire, afin que la barbarie vînt s’y briser sans trouver un seul côté faible par où elle pût l’entamer ; il fallait enfin que le règne de Karl fût un long règne, car lui

  1. De la nation conquérante, bien entendu ; quant à la nation conquise, il n’était nullement question de s’occuper de ses intérêts, elle était esclave.