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SOUVENIRS DE LA NORMANDIE.

de dix-sept bâtimens de guerre parmi lesquels se trouvait le beau vaisseau le Patriote de 74 canons, suivi de chaloupes pleines de musiciens, voguant près d’un cône pavoisé de mille couleurs, et monté par plus de cent personnes. On lui donna le spectacle d’un combat naval, et il eut tous les plaisirs qu’on offre aux rois en pareille circonstance.

Les tempêtes eurent peu d’égards pour ces cônes honorés de la présence d’un roi ; elles continuèrent de les renverser et de les détruire, et en firent disparaître jusqu’à vingt-et-un qui coûtaient chacun 80,000 livres. Tout ce qui reste aujourd’hui de ces cônes, consiste en ce débris pétrifié, sur lequel Louis xvi but à la prospérité de Cherbourg, et en quelques gentils cônes en relief, déposés dans la salle des modèles des bâtimens de la marine, qui sont peut-être les mêmes petits jouets d’acajou dont le roi s’amusa si long-temps.

On renonça alors au projet des cônes, et on revint au système plus simple, de verser dans la rade des pierres et des blocs de granit. Ces travaux furent poussés avec tant d’activité, qu’à la fin de l’année 1790, le volume des pierres versées de la sorte au fond de l’eau était évalué à trois cent soixante mille toises. En 1791, le transport des pierres fut abandonné, et on ne le reprit qu’en 1802 ; il fut de nouveau suspendu en 1813, et les versemens n’ont recommencé que depuis l’année dernière. D’après les calculs des ingénieurs de la marine, il faut encore jeter à la mer deux millions sept cent soixante-trois mille neuf cent quatre-vingt-seize mètres cubes de pierres pour achever les fondations de la digue. Cette opération coûtera encore 21,350,718 francs, sans compter les déchets et les avaries qui pourraient survenir pendant le cours de l’exécution des travaux. Trois millions sept cent deux mille cinquante-sept mètres cubes ont été déjà versés dans la rade, pour porter la digue au point d’élévation où elle se trouve. Cette digue qui, dans les marées hautes, dépasse à peine, et seulement en certains endroits, la surface de l’eau, vingt millions ont été employés jusqu’à ce jour à sa construction !

La montagne du Roule qui domine Cherbourg, couverte de blocs énormes de granit, amoncelés depuis des siècles par les révolutions du globe, passera, sans doute, dans la mer, pour achever la digue.