Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 3.djvu/402

Cette page a été validée par deux contributeurs.
396
REVUE DES DEUX MONDES.

communique par une écluse au port du commerce, admirable nappe comprimée entre des quais dignes de Babylone, où les bâtimens peuvent venir étendre leurs mâts de beaupré sur une plage riante, couverte de maisons heureusement disposées entre de hautes allées d’arbres. C’est la partie la plus reculée de l’auberge, une véritable chambre d’ami, où l’on n’a plus rien à craindre.

La rade est d’autant plus admirable qu’on ne peut la bloquer. On sait ce que c’est que la Manche, long canal impétueux formé par le refoulement de la grande mer que compriment les deux continens de France et d’Angleterre. Ce grand courant de la Manche commence à rouler ses eaux turbulentes à l’entrée même de la baie, et balaie, soit avec son flot, soit avec son jusant, tout ce qui tenterait de s’établir entre le cap Lévi, qui forme la pointe de l’est, et le fort de Querqueville, qui domine à l’ouest. La grande rose des vents, composée de trente-deux aires ou rayons de boussole, en offre vingt-deux favorables à l’entrée ou à la sortie de cette merveilleuse rade, hors de laquelle un navire peut tourner ses voiles dans toutes les directions ; il est ce qu’on nomme libre de tout cap, et peut cingler vers tous les points du globe.

Cette sortie est favorisée par un chenal dans lequel on trouve dans les vives eaux ordinaires une hauteur de plus de dix-huit pieds. Les bâtimens qui quittent le port ont une longueur de trois cents toises à parcourir dans le chenal ; de là ils n’ont que cinq ou six cents toises pour arriver en rade, et de la rade, il leur est loisible, comme je l’ai dit, de s’élever jusqu’à la pleine mer par tous les vents. Dans ce limpide bassin, ils n’ont à craindre ni une roche, ni un écueil ; et jusque bien loin dans la mer, ils ne rencontrent pas un seul banc de sable.

Le port et l’ancien château de Cherbourg jouent un rôle important dans nos chroniques. Froissard en parle sans cesse, et maître Robert Wace, dans son fameux roman du Rou, vante fort à sa manière la population guerrière de ces côtes, composée de boens chevaliers, ê boens archiers, é granz vieilles des chevelées, ki semblent femmes desvées, c’est-à-dire enragées, et telles justement qu’il les fallait alors pour s’opposer aux descentes des Anglais. Ce