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SOUVENIRS DE LA NORMANDIE.

où chacun pouvait entrer, ami ou ennemi, honnête homme ou pirate.

L’auberge de la Manche a été formée, dans tous les temps, de trois parties bien distinctes. C’est une grande et longue cité, d’un aspect fort simple, assise comme Dieppe, en amphithéâtre sur le bord de la mer, au fond d’une baie qui se trouve à une distance à peu près égale de Brest et de Dunkerque. Cette grande enceinte, jadis béante, étend ses deux longs bras rocailleux jusqu’aux caps de Barfleur et de la Hogue, qui sont eux-mêmes les deux points les plus avancés de la presqu’île du Cotentin, large promontoire, dont les côtes, vues de l’île de Wight, sont une menace perpétuelle à l’Angleterre. Un vaisseau qui cingle vers cette baie, en trouve bientôt une seconde de même forme, qui est comme la seconde salle de l’auberge. C’est la rade, rade immense, enclavée comme un second hémicycle, dans la grande baie de dix lieues de large ouverte aux flots de la pleine mer. Ses deux extrémités s’appuient, à l’est, sur une petite île, l’Ile Pelée, rocher aride où s’élève aujourd’hui une masse de granit immense, incrustée de cent canons, et à l’ouest sur la pointe de Querqueville, garnie aussi d’artillerie et de granit. Entre ces deux positions, s’étend la mer sur une longueur de quatre mille toises. C’est sur cette ligne qu’on a jeté la fameuse digue.

Arrivé là, le navire trouve une troisième enceinte, le dernier demi-cercle que forme la côte, défendu encore par deux forts, le fort du Homet et la batterie de l’Île Pelée. Cette fois il est à l’abri, ses ancres tombent dans la rade de Cherbourg, mais il n’est pas encore dans le port.

Si le vaisseau appartient à l’état, si c’est une frégate surmontée d’un noble pavillon de guerre, il trouve à sa gauche un vaste bassin creusé dans le roc, qui lui offre un sûr mouillage. Les plus gros vaisseaux y sont à flot. C’est le port militaire qui se ferme dédaigneusement devant un navire de commerce. Vingt vaisseaux de guerre peuvent y stationner à l’aise, à vingt lieues de Porstmouth, juste en face du grand arsenal maritime de l’Angleterre.

Les navires du commerce continuent leur route, et pénètrent le long d’une immense jetée, dans un bassin enlevé également au roc, port magnifique, qu’on nomme ici modestement l’avant-port. Il