Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 3.djvu/393

Cette page a été validée par deux contributeurs.
387
ROLLA.

Comme ils savent rouvrir les fleurs des temps passés,
Et nous ensevelir, eux qui nous ont bercés.

Rolla se détourna pour regarder Marie.
Elle se trouvait lasse, et s’était rendormie.
Ainsi tous deux fuyaient les cruautés du sort,
L’enfant dans le sommeil, et l’homme dans la mort.

Quand le soleil se lève aux beaux jours de l’automne,
Les neiges sous ses pas paraissent s’embrâser.
Les épaules d’argent de la nuit qui frissonne
Se couvrent de rougeur sous son premier baiser.
Tel frissonne le corps d’une chaste pucelle,
Quand dans les soirs d’été le sang lui porte au cœur.
Tel, le moindre desir qui l’effleure de l’aile
Met un manteau de pourpre à la sainte pudeur.
Roi du monde, ô soleil ! la terre est ta maîtresse.
Ta sœur dans ses bras nus l’endort à ton côté ;
Tu n’as voulu pour toi l’éternelle jeunesse
Qu’afin de lui verser l’éternelle beauté !

Vous qui volez là-bas, légères hirondelles,
Dites-moi, dites-moi, pourquoi vais-je mourir
Oh ! l’affreux suicide ! oh ! si j’avais des ailes,
Par ce beau ciel si pur, je voudrais les ouvrir !
Dites-moi, terre et cieux, qu’est-ce donc que l’aurore ?
Qu’importe un jour de plus à ce vieil univers ?
Dites-moi, verts gazons, dites-moi, sombres mers,
Quand des feux du matin l’horizon se colore,
Si vous n’éprouvez rien, qu’avez-vous donc en vous
Qui fait bondir le cœur et fléchir les genoux ?
Ô terre, à ton soleil qui donc t’a fiancée ?
Que chantent tes oiseaux ? que pleure ta rosée ?
Pourquoi de tes amours viens-tu m’entretenir ?
Que me voulez-vous tous, à moi qui vais mourir ?

Et pourquoi donc aimer ? Pourquoi ce mot terrible
Revenait-il sans cesse à l’esprit de Rolla ?