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ROLLA.

Comme de gais oiseaux qu’un coup de vent rassemble,
Et qui, pour vingt amours, n’ont qu’un arbuste en fleurs.

Le père de Rolla, gentillâtre imbécile,
L’avait fait élever comme un riche héritier,
Sans songer que lui-même, à sa petite ville,
Il avait de son bien mangé plus de moitié.
En sorte que Rolla, par un beau soir d’automne,
Se vit à dix-neuf ans maître de sa personne, —
Et n’ayant dans la main ni talent ni métier.
Il eût trouvé d’ailleurs tout travail impossible ;
Un gagne-pain quelconque, un métier de valet,
Soulevait sur sa lèvre un rire inextinguible.
Ainsi, mordant à même au peu qu’il possédait,
Il resta grand seigneur, tel que Dieu l’avait fait.

Hercule, fatigué de sa tâche éternelle,
S’assit un jour, dit-on, entre un double chemin.
Il vit la volupté qui lui tendait la main :
Il suivit la vertu, qui lui sembla plus belle.
Aujourd’hui rien n’est beau, ni le mal ni le bien.
Ce n’est pas notre temps qui s’arrête et qui doute ;
Les siècles en passant ont fait leur grande route
Entre les deux sentiers, dont il ne reste rien.

Rolla fit à vingt ans ce qu’avaient fait ses pères. —
Ce qu’on voit aux abords d’une grande cité,
Ce sont des abattoirs, des murs, des cimetières ;
C’est ainsi qu’en entrant dans la société,
On trouve ses égouts. — La virginité sainte
S’y cache à tous les yeux sous une triple enceinte ;
On voile la pudeur ; mais la corruption
Y baise en plein soleil la prostitution.
Les hommes dans leur sein n’accueillent leur semblable,
Que lorsqu’il a trempé dans le fleuve fangeux
L’acier chaste et brûlant du glaive redoutable
Qu’il a reçu du ciel, pour se défendre d’eux.