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LÉLIA.

Lélia, nous l’espérons, sera pour les intelligences les plus diverses, pour ceux qui ont vécu et pour ceux qui ont à vivre, un enseignement profitable.

La critique entêtée dans les traditions littéraires reprochera, sans doute, à plusieurs chapitres de Lélia la diffusion et la prolixité ; elle s’évertuera à démontrer que chaque personnage, au lieu de parler pour son interlocuteur, a souvent l’air de parler pour lui-même. Elle prouvera sans trop de peine que l’action réelle, celle qui s’adresse à la multitude et aux curieux, se brise fréquemment.

Je ne crois pas qu’il soit utile de discuter des imputations de cette nature. Il faut plaindre sérieusement ceux qui cherchent partout une distraction et un plaisir. Mais en pareil cas la colère serait folie.

Oui, Lélia, j’en conviens, par la forme lyrique des apostrophes, par la forme dialectique de ses plaintes, alterne entre Manfred et le Phedon. Valait-il mieux opter pour l’un des deux ? Eût-il été plus sage de supprimer le syllogisme grec pour laisser à la mélancolie anglaise plus de grâce et de liberté ? Ou bien, dans l’intérêt de la vérité, le prestige de la poésie ne devait-il pas s’effacer devant l’évidence pure et sereine ?

Ces questions, à mon avis, se résolvent en se posant. Elles ne vont à rien moins qu’à ruiner toutes les philosophies qui ne sont pas Platon, toutes les poésies qui ne sont pas Byron.

Il y a bien assez de livres, Dieu merci, qui sont faits à l’image du passé, qui se modèlent servilement sur une forme consacrée. Quand il se rencontre un esprit original et indépendant qui donne sa pensée comme elle vient, qui la livre entière et franche, sans s’inquiéter de son unité apparente, avec ses aspirations vers la vérité, et ses nonchalances de rêverie, il ne faut pas le chicaner sur le mécanisme de sa puissance. S’il lui plaît à de certaines heures de déduire ses idées avec la rigueur de la logique la plus précise, ou bien s’il lui prend fantaisie de s’ébattre et de se jouer dans les mille détours de son imagination, de broder la trame de son discours de perles et de diamans, laissez-le faire, laissez-vous charmer, si vous ne voulez pas mériter le nom d’ingrats.

Après Indiana et Valentine, Lélia est-elle un progrès ? y a-t-il