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REVUE DES DEUX MONDES.


VALLÉE AUX LOUPS, SOUVENIRS ET FANTAISIES, PAR M. DE LATOUCHE.[1]

Sous ce titre, le poète, habitant d’Aulnay, vient de publier un recueil varié de prose et de vers, des morceaux d’art, de critique et d’étude. Les poésies de M. de Latouche n’étaient connues jusqu’ici que par de rares fragmens imprimés çà et là, et par la confidence qu’il en avait faite à quelques amis en se promenant sur ses coteaux ; aujourd’hui nous les possédons tout entières. Ce sont d’abord de petits poèmes dramatiques comme le Juif Errant, une Nuit de 1793, des traditions populaires qui marquent un essai de retour à la poésie du moyen âge, quelques imitations de Goëthe et de Tieck, comme le Roi des Aulnes et Phantasus. Ces morceaux, où se déploie beaucoup d’habileté, de grâce et de couleur, mais que déparent quelquefois l’effort et l’obscurité elliptique de la pensée ou de l’expression, ont dû perdre à n’avoir pas été publiés au temps même où ils furent composés, c’est-à-dire de 1819 à 1824, si je ne me trompe. Ils appartiennent historiquement à ce mouvement poétique d’alors qui cherchait un rajeunissement pour notre poésie dans la naïveté et les croyances des vieux âges, un peu à l’exemple de ce qui s’était passé en Angleterre et en Allemagne, à la fin du dix-huitième siècle. M. de Châteaubriand avait le premier donné l’impulsion chez nous dans sa prose éloquente ; M. de Vigny dans ses poèmes, M. Hugo dans ses ballades, et, vers le même temps, M. de Latouche par ses traditions populaires, concouraient à réaliser en vers des applications de la même pensée. Éditeur et introducteur d’André Chénier, M. de Latouche se distingue entre les poètes de ce temps, par des caractères qu’il serait curieux de suivre avec quelque détail. Il n’a rien de l’école parallèle qui a pour père Lamartine ; peu vague, peu spiritualiste, peu mystique et nullement chrétien ; mais plus positif à la manière des anciens, plus didactique, plus curieux du paysage et aussi plus historique et politique que la plupart de nos poètes. Un honneur et une vertu qu’il faut reconnaître hautement à M. de Latouche, c’est cette conviction politique profonde et inébranlable, un peu amère peut-être, mais intègre et vraie, qui prouve le disciple familier de Marie-Joseph Chénier, non moins que d’André. Dans ses épitres au noble écrivain, autrefois habitant d’Aulnay, il se montre de cette mâle école historique de Marie-Joseph et de Lebrun, comme dans l’épitre à un poète (M. Guttinguer), il s’est montré de l’ingénieuse et sobre école de Despréaux. Mais ce qu’on lira surtout dans ce volume, ce qui le fera garder à demeure sur les tablettes favorites avec les élégiaques préférés, ce sont les treize élégies qu’il contient et auxquelles il faut

  1. vol. in-8o, chez Levavasseur, rue de Choiseul.