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Simon : rien n’a traversé cette descendance directe. Cette position simple comporte des avantages et des inconvéniens. Si d’un côté l’auteur est plus ferme et plus résolu dans les déductions de ses pensées, de l’autre il s’est privé de notions, tant métaphysiques qu’historiques, qui eussent accru ses forces sans nuire à leur développement.

La composition de M. Buchez est originale, avec ses qualités et ses défauts ; la lecture en est laborieuse, mais attachante, dure parfois, mais pas ingrate ; seulement elle ne convient pas à ces attentions légères qui se rebutent facilement, et qui délaissent les choses profondes, quand elles les rencontrent, pour aller se poser sur des superficies agréables. Mais le lecteur courageux et persévérant recevra nécessairement une impression durable et vivifiante. La conviction qui anime l’écrivain, les croyances qui le constituent et le possèdent, sont marquées d’un caractère de sincérité qui commande l’intérêt et l’estime. M. Buchez est un ardent soldat de la cause de l’humanité ; il a la passion du vrai, la haine de l’erreur ; il poursuit partout l’égoïsme, sous toutes ses formes et dans toutes ses hypocrisies ; il prêche le dévoûment, il gourmande son siècle avec âpreté ; il a pour lui des paroles amères, de sanglantes remontrances, même des colères injustes ; mais, dans les plaintes et les invectives qu’exhale l’écrivain, respire une indignation si sincèrement accentuée, qu’elle se fait respecter même de ceux qui ne la partageraient pas tout entière. Après tout, il est bon aujourd’hui que chacun dise franchement ce qu’il a dans la tête et sur le cœur : ce qui est anguleux est plus facile à saisir, à combattre ou à défendre. M. Buchez se recommande moins par l’éclat du style et de la forme, que par un fonds sérieux et substantiel ; l’économie de son livre n’est pas saillante et lucide ; l’expression de l’écrivain n’est ni pittoresque ni sonore, son allure n’est pas impérieusement entraînante ; et cependant l’ouvrage émeut avec une lenteur puissante ; sa substance, un peu indigeste, alimente l’esprit et finit par l’échauffer ; l’écrivain devient lui-même parfois éloquent et poète, non tant par la force et l’énergie de son verbe, qu’à force de cœur et de probité. Pour conclure, le livre et les doctrines de M. Buchez méritent un examen approfondi : le lecteur sait maintenant que ce philosophe se présente à lui comme élève de l’école française de Turgot, de Con-