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INTRODUCTION À LA SCIENCE DE L’HISTOIRE.

de l’ordre moral. Mais, comme le moment nous semble opportun d’éclaircir cette affaire, nous nous y arrêterons quelque peu.

Quand vous lisez un dialogue de Platon, votre attention n’a-t-elle pas besoin de force et de souplesse, pour se transporter et se maintenir dans l’intelligence de cette logique grecque ? La logique est éternelle et générale, de tous les temps et de tous les lieux, comme l’esprit même ; mais dans le Théétète, dans le Protagoras, dans la République, elle a des formes particulières, un costume, des habitudes, des subtilités, d’interminables déductions, qui tiennent, non pas à la racine même de l’humanité, mais à la variété de l’esprit grec. Aristote est Grec autrement que Platon, dans sa manière de penser, mais il est encore Grec par la forme. La scolastique, au moyen âge, n’a pas été autre chose que l’industrieuse résurrection des procédés extérieurs de la spéculation grecque ; cette exhumation eut son labeur et son utilité : mais dès que la pensée moderne eut acquis par cet apprentissage la conscience d’elle-même, elle voulut se développer à sa façon. Descartes a la prétention de penser comme un moderne et non pas comme un ancien ; il ne voulut pas avoir sur les épaules la tête d’Aristote, mais la sienne, et il se préféra au passé.

Qu’y a-t-il de général dans la philosophie grecque ? le point de départ et ses résultats. Penser est un acte humain, trouver des axiomes et des principes est la plus noble conquête de l’humanité, mais les procédés de la recherche sont particuliers et spéciaux ; ils appartiennent à l’homme, ils appartiennent à la nature ; ils sont individuels, passagers et changeans. La philosophie sous une face est une méthode ; il y a une méthode grecque, donc une philosophie grecque.

Kant a changé la manière de spéculer des Allemands ; mais lui-même a pensé comme un Allemand. Il a laissé des résultats généraux en métaphysique et en morale, mais il a parcouru des routes qu’il s’était faites lui-même ; sur ses traces l’Allemagne entière s’y est engagée. Les résultats obtenus par Kant, Fichte, Hegel et Schelling appartiennent à tous les esprits intelligens, mais la méthode est germanique : il y a donc une philosophie allemande.

N’y aurait-il pas aussi une philosophie française ? Après avoir produit Descartes, la France n’a plus eu de métaphysiciens de pre-