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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

jetaient dans la vie barbare, méprisaient tout, hors la force physique, et devenaient querelleurs et turbulens. Comme les guerriers franks, ils allaient de nuit assaillir leurs ennemis dans leurs maisons ou sur les routes, et ils ne sortaient jamais sans porter sur eux le poignard germanique, appelé skrama-sax, couteau de sûreté. Voilà comment, dans l’espace d’un siècle et demi, toute culture intellectuelle, toute élégance de mœurs disparut de la Gaule, par la seule force des choses, sans que ce déplorable changement fût l’ouvrage d’une volonté malfaisante et d’une hostilité systématique contre la civilisation romaine.[1]

Le mariage de Sighebert, ses pompes, et surtout l’éclat que lui prêtait le rang de la nouvelle épouse, firent, selon les chroniques du temps, une vive impression sur l’esprit du roi Hilperik. Au milieu de ses concubines et des femmes qu’il avait épousées à la manière des anciens chefs germains, sans beaucoup de cérémonie, il lui sembla qu’il menait une vie moins noble, moins royale que celle de son jeune frère. Il résolut de prendre, comme lui, une épouse de haute naissance ; et, pour l’imiter en tout point, il fit partir une ambassade, chargée d’aller demander au roi des Goths la main de Galesvinthe, sa fille aînée. Mais cette demande rencontra des obstacles qui ne s’étaient pas présentés pour les envoyés de Sighebert. Le bruit des débauches du roi de Neustrie avait pénétré jusqu’en Espagne ; les Goths, plus civilisés que les Franks, et surtout plus soumis à la discipline de l’Évangile, disaient hautement que le roi Hilperik menait la vie d’un païen. De son côté, la fille aînée d’Athanalghild, naturellement timide et d’un caractère doux et triste, tremblait à l’idée d’aller si loin, et d’appartenir à un pareil homme. Sa mère Goïsvinthe, qui l’aimait tendrement, partageait sa répugnance, ses craintes et ses pressentimens de malheur ; le roi était indécis et différait de jour en jour sa réponse définitive. Enfin, pressé par les ambassadeurs, il refusa de rien conclure avec eux, si leur roi ne s’engageait par serment à congédier toutes ses femmes, et à vivre selon la loi de

  1. V. Gregorii Turonensis hist. Francorum ecclesiast. pag. 227 de Antarchio et Urso. — Ibid. pag. 342, de Sichario et Chramnisindo. — Ibid. pag. 210 de Cantino episcopo, et Catone presbytero.