Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 3.djvu/272

Cette page a été validée par deux contributeurs.
266
REVUE DES DEUX MONDES.

vice de l’incontinence, ne se contentant presque jamais d’une seule femme, quittant sans le moindre scrupule celle qu’ils venaient d’épouser, et la reprenant ensuite selon le caprice du moment. Le pieux Gonthramn changea d’épouses à peu près autant de fois que ses deux frères, et, comme eux, il eut des concubines, dont l’une appelée Vénérande, était la fille d’un Gaulois attaché au fisc. Le roi Haribert prit en même temps pour maîtresses deux sœurs d’une grande beauté, qui étaient au nombre des suivantes de sa femme Ingoberghe. L’une s’appelait Markowefe, et portait l’habit de religieuse, l’autre avait nom Meroflède : elles étaient filles d’un ouvrier en laine, barbare d’origine, et lite du domaine royal. Ingoberghe, jalouse de l’amour que son mari avait pour ces deux femmes, fit tout ce qu’elle put pour l’en détourner, et n’y réussit pas. N’osant cependant maltraiter ses rivales, ni les chasser, elle imagina une sorte de stratagème qu’elle croyait propre à dégoûter le roi d’une liaison indigne de lui. Elle fit venir le père des deux jeunes filles, et lui donna des laines à carder dans la cour du palais. Pendant que cet homme était à l’ouvrage, travaillant de son mieux pour montrer du zèle, la reine, qui se tenait à une fenêtre, appela son mari : « Venez, lui dit-elle, venez ici voir quelque chose de nouveau ». Le roi vint, regarda de tous ses yeux, et ne voyant rien qu’un cardeur de laine, il se mit en colère, trouvant la plaisanterie fort mauvaise[1]. L’explication qui suivit entre les deux époux fut violente, et produisit un effet tout contraire à celui qu’en attendait Ingoberghe ; ce fut elle que le roi répudia pour épouser Meroflède. Bientôt, trouvant qu’une seule femme légitime ne lui suffisait pas, Haribert donna solennellement le titre d’épouse et de reine à une fille nommée Theodehilde, dont le père était gardeur de troupeaux. Quelques années après, Meroflède mourut ; et le roi se hâta d’épouser sa sœur Markowefe. Il se trouva ainsi, d’après les lois de l’église, coupable d’un double sacrilège, comme bigame et comme mari d’une femme qui avait reçu le voile de reli-

  1. Quo operante, vocavit regem. Ille autem sperans aliquid novi videre, adspicit hunc eminùs lanas regias componentem : quod videns commotus in irâ, reliquit Ingobergam. (Gregorii Turonensis hist. Francorum ecclesiast., lib. iv, pag. 215.)