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bien des lois, long-temps après, à les répéter involontairement, à l’infini, sans suite ni sens, comme ces mots mystérieux que redisait la folie d’Ophélia.

Les poésies de Mme Desbordes-Valmore qui, nées ainsi du cœur, n’ont aucun souci d’art ni d’imitation convenue, réfléchissent pourtant, surtout à leur source, la teinte particulière de l’époque où elles ont commencé, et rappellent un certain ensemble d’inspirations environnantes. Dans ces Idylles en vers libres, pleines de moutons à la Deshoulières, d’agneaux volages ou gémissans qu’enchaînent des rubans fleuris, dans ces premières élégies où voltige l’Amour en bandeau et où il est tant question de tendres feux, de doux messages et de fers imposteurs, on est, en souriant, reporté à cette génération sentimentale nourrie de Mme Cottin, de Mme de Montolieu, que Misanthropie et repentir attendrissait sans réserve, que Vingt-quatre heures d’une femme sensible n’exagérait pas, et qui, lors du grand divorce de 1810, s’appitoya avec une exaltation romanesque sur la pauvre châtelaine de la Malmaison. Cette veine lactée s’est prolongée dans la poésie jusque vers 1820 où nous l’avons vu finir ; nous tous, en nous en souvenant bien, nous avons eu, adolescens, notre période de Florian et de Gessner ; nous réciterions avec charme encore la Pauvre fille de Soumet. Pour tout ce qui est paysage, couleur, accompagnement, les premières pièces de Mme Valmore rappellent cette littérature ; Parny et Mme Dufresnoy s’y joignirent sans doute, mais elle a plus d’abandon, d’abondance et de mollesse, que ces deux élégiaques un peu brefs et concis. Ses paysages, à elle, ont de l’étendue ; un certain goût anglais s’y fait sentir ; c’est quelquefois comme dans Westall, quand il nous peint sous l’orage l’idéale figure de son berger ; ce sont ainsi des formes assez disproportionnées, des bergères, des femmes à longue taille comme dans les tableaux de la Malmaison, des tombeaux au fond, des statues mythologiques dans la verdure, des bois peuplés d’urnes et de tourterelles roucoulantes, et d’essaims de grosses abeilles et d’âmes de tout petits enfans sur les rameaux ; un ton vaporeux, pas de couleur précise, pas de dessin ; un nuage sentimental, souvent confus et insaisissable, mais par endroits sillonné de vives flammes et avec l’éclair de la passion. Des personnifications allégoriques, l’Espérance, le Malheur, la Mort,