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POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

sive était, et elle est encore dans cette arène ; quiconque ne l’y met pas désespère plus ou moins de cette aimantation poétique du siècle, en masse, qui a été le rêve des avant-dernières années. Celui à qui est dû l’honneur d’avoir le moins désespéré, assurément, et qui persévère sans indice de fatigue ni de mollesse, dans sa ligne d’alors, est M. Victor Hugo. La pensée dramatique à laquelle nous faisions allusion plus haut, et qui est la sienne, préexistait déjà à sa pensée lyrique ; elle a traversé celle-ci sans s’y attiédir, et en est sortie impétueuse, inflexible, comme d’un lac, où, à sa source, elle était tombée.

Mais la pensée intime, élégiaque, mélancolique, que fera-t-elle ? Séparée de l’autre qui fut sa sœur, privée désormais du mouvement qu’elle reçut d’elle au temps de leur union, où cherchera-t-elle à s’enfuir et à s’écouler ? Y a-t-il lieu, en ces temps plus graves, de songer à reconstituer quelque école artificiellement paisible et rêveuse, de tenter encore à l’horizon cette petite colonie qui nous apparut dans un mirage du matin ? Ces naïves chimères ne sont séduisantes qu’une fois. Il y a mieux à faire. Vivre, puisqu’il le faut, de la vie de tous, subir les hasards, les nécessités du grand chemin, y recueillir les enseignemens qui s’offrent, y fournir au besoin sa tâche de pionnier ; puis se dédoubler soi-même, et dans une part plus secrète réserver ce qui ne doit pas tarir ; l’employer, l’entretenir s’il se peut, à l’amour, à la religion, à la poésie ; cultiver surtout sa faculté de concevoir, de sentir et d’admirer : n’est-ce pas là une manière d’aller décemment ici-bas, après même que le but grandiose a disparu, et de supporter la défaite de sa première espérance ?

En lisant Mme Valmore, ces pensées nous revenaient. Elle est un poète si instinctif, si tendre, si éploré, si prompt à toutes les larmes et à tous les transports, si brisé et battu par les vents, si inspiré par l’âme seule, si étranger aux écoles et à l’art, qu’il est impossible près d’elle de ne pas considérer la poésie comme indépendante de tout but, comme un simple don de pleurer, de s’écrier, de se plaindre, d’envelopper de mélodie sa souffrance. C’est dans la vie réelle, à travers les passions et les épreuves, que ce cœur de femme, sans autre maître que la voix secrète et la douleur, a dès l’abord modulé ses sanglots. Il y a deux sortes de poètes : ceux qui