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vrai, car je crains bien que ma maladie actuelle ne provienne d’avoir travaillé au-delà de mes forces. Croyez-moi, capitaine, rien n’est plus dangereux que de trop travailler.

« Il se mit ensuite à parler de ses affaires ; et, comme je prononçais par hasard le nom de M. Robert Cadell d’Édimbourg, son éditeur, il dit avec un autre soupir : Ah ! si, depuis que j’écris pour le public, j’avais été entre les mains de notre excellent ami Cadell, j’aurais certainement aujourd’hui en ma possession 200,000 livres sterling, au lieu d’être obligé de me tuer, à force de travail, pour acquitter mes dettes.

« Je me hasardai à remarquer que, à part la maladie dont il était souffrant, tout était peut-être pour le mieux, attendu que depuis le délabrement de sa fortune, il avait été soutenu dans ses travaux par un motif plus généreux et plus désintéressé que le simple désir de gagner de l’argent.

— Peut-être avez-vous raison, me répondit-il ; aucun écrivain ne devrait jamais avoir pour mobile unique ou même principal l’amour du gain. Gagner de l’argent n’est pas l’affaire d’un homme de lettres. Cependant, d’un autre côté, les personnes qui, par profession, ne visent qu’à s’enrichir (j’entends mes créanciers) doivent reconnaître que, quoique j’aie marché sur leurs brisées dans ces derniers temps, je l’ai fait pour leur avantage et non pour le mien. En somme, comme je le disais tout à l’heure, je crois que je suis allé trop loin, et que mes infirmités proviennent en partie d’un excès de contention d’esprit. Comment cela finira-t-il ? je n’en sais rien. Je me donne, dit-on, une chance de salut en entreprenant ce voyage… On peut mourir également bien partout.

— Il me semble, dis-je, que la plupart des hommes prennent trop à cœur la perte de la fortune qui n’est qu’au dernier rang parmi les grands maux de la vie, et qui doit être un des plus supportables.

— Appelez-vous, répliqua-t-il, un petit malheur d’être ruiné pécuniairement parlant ?

— Cela est moins pénible, à tout prendre, que de perdre ses amis.

— J’en conviens.

— Ou de perdre sa réputation.

— J’en conviens encore.

— Ou de perdre la santé.

— Ah ! voilà où j’en suis, murmura-t-il tout bas, sur un ton plus mélancolique qu’il n’avait parlé jusque-là.