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REVUE DES DEUX MONDES.

Et la douleur ! qui peut, mesurant ses revers,
Imprégner de sanglots le tissu de ses vers ?
Les mots, dont on les peint, refroidissent les larmes :
Combats mystérieux, où nous luttons sans armes,
Il faut, pour exprimer nos chagrins venimeux,
Des cris, des chants, des voix, des sons vagues comme eux.
Lumière accentuée, errante sur la terre,
La musique, elle seule, en surprend le mystère,
Et, pour mieux enivrer nos sens qu’elle traduit,
Laisse, en les éclairant, leurs secrets dans la nuit.
Exhalé d’une tombe, où médita Shakspire,
Et sur nos bords charmés envoyé par la lyre,
Qui n’a pas entendu cet hymne consacré,
Où l’accent du triomphe est si désespéré :
« Ombre adorable et pure, attends-moi Juliette ! »
D’une joie éplorée idéal interprète,
Quel démenti sublime à l’horreur du cercueil,
Et quel drame complet dans un seul cri de deuil !
Dépliez donc vos vers près de ce deuil suprême,
Vous paraîtrez plus froid que le sépulcre même.
Fouillez tous les secrets du cœur de Roméo,
Quand, levant à genoux les voiles du tombeau,
Il croit voir sur ces traits, où la pâleur ondoie,
Le néant qui balance à dévorer sa proie :
Faites rire ses pleurs, quand, défiant le sort,
Sa coupe de poison porte un toste à la mort,
Et regardez votre âme : elle est toujours glacée.
C’est que toute parole énerve la pensée,
Quand il faut remuer ce chaos de douleurs
Qui se presse au cerveau, sans forme et sans couleurs
Comme à travers le ciel, en travail de l’orage,
Le tumulte houleux d’une mer de nuage.