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REVUE. — CHRONIQUE.

prendre la peine de mettre l’action en dialogue, et diviser le tout en trois ou cinq actes ad libitum. Son Derval, le mari en question, est bien le tyran domestique le plus débauché, le plus joueur, le plus foncièrement brutal qui ait jamais fait le malheur d’une pauvre créature ; et Florvilie ressemble de tous points à la femme malheureuse, innocente et persécutée qui a tant coûté de larmes aux boulevards. Pour que rien ne manque à la vérité mélodramatique que M. Pons a choisie pour modèle, Derval ruiné, perdu de dettes, et ne sachant à qui s’en prendre, si ce n’est à lui-même, se brûle la cervelle, et la vertu trouve sa récompense dans la personne de Florvilie, qui finit par épouser l’homme qu’elle aimait lorsque son oncle et tuteur, fort brave homme, qui n’a d’autre défaut que de ne voir le bonheur que dans l’argent, la força d’épouser ce misérable Derval. Il ne faut qu’une dose très ordinaire de sagacité pour voir, dès les premiers chapitres, l’inévitable conclusion du drame, et l’on ferme le livre avec la douce satisfaction d’avoir tout deviné à l’avance, et d’être par conséquent un lecteur très entendu. Il y a cependant du naturel dans cet ouvrage, quelques scènes habilement tracées, et un style en général exempt d’efforts pénibles ; mais rien d’original, d’imprévu, de ce qui, en un mot, vous sollicite à une seconde lecture ; on a vu cela partout et l’on passe sans s’arrêter.

Nous voudrions avoir à émettre une opinion plus favorable sur le dernier ouvrage de M. Berthoud, jeune écrivain qui s’est placé rapidement au rang de nos romanciers les plus féconds, mais qui abuse trop évidemment de sa malheureuse facilité, pour qu’il lui soit possible d’enfanter quelque chose de fini et de durable. Le Cheveu du Diable[1] en est un nouvel exemple. M. Berthoud a eu une idée fort bonne et fort juste ; il a voulu nous montrer cet enchaînement logique qui lie une première faute, souvent involontaire, au dernier degré du crime, par une suite de chutes dont chacune est la conséquence de celle qui l’a précédée. C’est ce que Lessing a énergiquement exprimé par cette pensée qui sert d’épigraphe au livre de M. Berthoud : « Si le diable te saisit seulement par un cheveu, tu lui appartiens pour l’éternité. » La même idée se trouve si fréquemment chez les moralistes et les poètes, qu’il est inutile d’insister davantage sur sa profonde vérité. C’est de cette manière qu’il faut entendre cette fatalité qui fait de l’échafaud la péripétie nécessaire de la carrière de certains hommes. S’il n’y a rien de neuf dans la conception première de M. Berthoud, il faut lui rendre cette justice, qu’il a très bien précisé le point de départ de son héros, en lui donnant pour père un marchand à la

  1. Chez Mame-Delaunay.