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sereine qu’il s’était faite : sa conduite sociale explique en partie ce prodige biographique. Mais je n’ai pas besoin d’ajouter qu’il a produit trois chefs-d’œuvre dont un seul suffirait aux plus avides ambitions.

Henry Mackenzie naquit à Édimbourg, au mois d’août 1745, le jour même où le prince Charles Stuart descendait en Écosse. Son père, le docteur Joshua Mackenzie, avait épousé Margaret, fille aînée de M. Rose, de Kilravock. Élevé d’abord à l’université d’Édimbourg, Henry fut ensuite confié à M. Inglis de Redhall, pour apprendre chez lui la pratique de l’échiquier. Quoique ses goûts naturels, qui de bonne heure l’attachèrent à la littérature, fussent peu en harmonie avec ces occupations fastidieuses, cependant il prit sur lui-même de les suivre assidûment, et en 1765, il se rendit à Londres pour se perfectionner dans la profession qu’il avait embrassée. Pendant son séjour dans cette ville, un ami, frappé de son aptitude singulière, essaya de le retenir et de lui faire accepter un emploi en Angleterre. Mais les sollicitations de sa famille et surtout la modestie de ses désirs le rappelèrent promptement à Édimbourg où il devint d’abord associé, puis successeur de M. Inglis dans l’office d’Attorney (procureur) de la couronne.

Toutefois ses travaux habituels ne le détournèrent pas de la littérature. À l’âge de vingt-six ans, il publia the Man of feeling, le premier et peut-être le plus beau de ses livres, dont le titre trouverait difficilement un équivalent dans notre langue, à moins qu’on ne respecte l’ordre même des mots et qu’on ne l’appelle l’homme de sentiment. Ce premier ouvrage ne portait pas son nom ; peu d’années après la publication, un M. Eccles, de Bath, transcrivit le livre entier de sa main, en y ajoutant des ratures, des intercalations, des corrections, et s’attribua obstinément la composition de Mackenzie, jusqu’à ce que MM. Cadell et Strahan, éditeurs du jeune romancier, jugèrent à propos de détromper le public par un démenti formel.

Enhardi par un premier succès et par la popularité croissante de son nom, Mackenzie publia, quelques années plus tard, the Man of the world, l’homme du monde, et Julia de Roubigné. Sa gloire est toute entière dans ces trois ouvrages ; mais comme ils forment un ensemble harmonieux et complet, il nous semble convenable