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LA BRETAGNE.

maux aussi s’altèrent, et semblent changer de nature. Les chevaux, les lapins, sont d’une étrange petitesse dans ces îles.

Asseyons-nous à cette formidable pointe du Raz, sur ce rocher miné, à cette hauteur de trois cents pieds, d’où nous voyons sept lieues de côtes. C’est ici, en quelque sorte, le sanctuaire du monde celtique. Ce que vous apercevez par-delà la baie des Trépassés, est l’île de Sein, triste banc de sable sans arbres et presque sans abri ; quelques familles y vivent, pauvres et compatissantes, qui, tous les ans, sauvent des naufragés. Cette île était la demeure des vierges sacrées qui donnaient aux Celtes beau temps ou naufrage. Là, elles célébraient leur triste et meurtrière orgie, et les navigateurs entendaient avec effroi de la pleine mer le bruit des cymbales barbares. Cette île, dans la tradition, est le berceau de Myrddyn, le Merlin du moyen âge. Son tombeau est de l’autre côté de la Bretagne, dans la forêt de Broceliande, sous la fatale pierre où sa Vyvyan l’a enchanté. Tous ces rochers que vous voyez, ce sont des villes englouties ; c’est Douarnenez, c’est Is, la Sodôme bretonne ; ces deux corbeaux, qui vont toujours volant lourdement au rivage, ne sont rien autre que les âmes du roi Grallon et de sa fille ; et ces sifflemens, qu’on croirait ceux de la tempête, sont les crierien, ombres des naufragés, qui demandent la sépulture.

À Lanvau, près Brest, s’élève, comme la borne du continent, une grande pierre brute. De là, jusqu’à Lorient, et de Lorient à Quiberon et Carnac, sur toute la côte méridionale de la Bretagne, vous ne pouvez marcher un quart-d’heure sans rencontrer quelques-uns de ces monumens informes qu’on appelle druidiques. Vous les voyez souvent de la route dans des landes couvertes de houx et de chardons. Ce sont de grosses pierres basses, dressées et souvent un peu arrondies par le haut, ou bien une table de pierre portant sur trois ou quatre pierres droites. Qu’on veuille y voir des autels, des tombeaux, ou de simples souvenirs de quelque événement, ces monumens ne sont rien moins qu’imposans, quoi qu’on ait dit. Mais l’impression en est triste, ils ont quelque chose de singulièrement rude et rebutant. On croit sentir dans ce premier essai de l’art une main déjà intelligente, mais aussi dure, aussi peu humaine que le roc qu’elle a façonné. Nulle inscription, nul signe, si ce n’est peut-être sous les pierres renversées de Loc Maria