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et le Bocage vendéen ; deux villes, Saint-Malo et Nantes. L’aspect de Saint-Malo est singulièrement laid et sinistre ; de plus, quelque chose de bizarre que nous retrouverons par toute la presqu’île, dans les costumes, dans les tableaux, dans les monumens[1]; petite ville, riche, sombre et triste ; nid de vautours ou d’orfraies, tour-à-tour île et presqu’île, selon le flux ou le reflux ; tout bordé d’écueils sales et fétides, où le varec pourrit à plaisir. Au loin, une côte de rochers blancs, anguleux, découpés comme au rasoir. La guerre est le bon temps pour Saint-Malo ; ils ne connaissent pas de plus charmante fête. Quand ils ont eu récemment l’espoir de courir sus aux vaisseaux hollandais, il fallait les voir sur leurs noires murailles avec leurs longues-vues, qui couvaient déjà l’Océan[2].

À l’autre bout, c’est Brest, le grand port militaire, la pensée de Richelieu, la main de Louis xiv; fort, arsenal et bagne, canons et vaisseaux, armée et millions, la force de la France entassée au bout de la France : tout cela dans un port serré, où l’on étouffe entre deux montagnes chargées d’immenses constructions. Quand vous parcourez ce port, c’est comme si vous passiez dans une petite barque entre deux vaisseaux de haut bord ; il semble que ces lourdes masses vont venir à vous et que vous allez être pris entre elles. L’impression générale est grande, mais pénible. C’est un prodigieux tour de force, un défi porté à l’Angleterre et à la nature. J’y sens partout l’effort, et l’air du bagne et la chaîne du forçat. C’est justement à cette pointe, où la mer, échappée du détroit de la Manche, vient briser avec tant de fureur, que nous avons placé le grand dépôt de notre marine. Certes, il est bien gardé. J’y ai vu mille canons[3]. L’on n’y entrera pas ; mais l’on n’en sort pas comme on

  1. Par exemple, dans les clochers penchés, ou découpés en jeux de cartes, ou lourdement étagés de balustrades, qu’on voit à Tréguier et à Landernau ; dans la cathédrale tortueuse de Quimper, où le chœur est de travers par rapport à la nef ; dans la triple église de Vannes, etc. Saint-Malo n’a pas de cathédrale, malgré ses belles légendes. Sur ces légendes, voy. les Act. SS. ord. S. Benedicti, sæc. i. et D. Morice, Preuves de l’Histoire de Bretagne, t. i.
  2. L’auteur était à Saint-Malo, au mois de septembre 1831.
  3. À l’Arsenal, sans compter les batteries.