Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 3.djvu/20

Cette page a été validée par deux contributeurs.
14
REVUE DES DEUX MONDES.

— « En avant ! quatre par quatre, au trot si vous voulez, et au galop si vous pouvez. »

Nous partîmes en effet, suivis chacun d’un gamin qui piquait avec une épingle la croupe de nos ânes. Dix minutes après, nous étions au lac du Bourget ; seulement nous étions partis au nombre de trente-cinq, et nous étions arrivés douze ; quinze étaient tombés en route : les huit autres n’avaient jamais pu faire prendre à leurs bêtes une autre allure que le pas ; quant à Christine, elle allait comme le cheval de Persée.

C’est vraiment une merveille que les lacs de Suisse et de Savoie, avec leurs eaux bleues et transparentes qui laissent voir le fond à quatre-vingts pieds de profondeur. Il faut être arrivé sur leurs bords, encore tout pollués comme nous l’étions des bains de notre Seine bourbeuse, pour se faire une idée de la volupté avec laquelle nous nous y précipitâmes.

À l’extrémité opposée à celle où nous étions, s’élevait un bâtiment assez remarquable ; je donnai une passade à l’un de nos compagnons, et au moment où il revenait sur l’eau, je lui demandai ce que c’était que cet édifice. Il m’appuya à son tour les mains sur la tête et les pieds sur les épaules, m’envoya à quinze pieds de profondeur, et saisissant l’instant où ma tête revenait à la surface du lac : — C’est Hautecombe, me dit-il, la sépulture des ducs de Savoie et des rois de Sardaigne. — Je le remerciai.

On proposa d’y aller déjeuner et de visiter ensuite les tombes royales et la fontaine intermittente. Nos bateliers nous dirent que, quant à cette dernière curiosité, il fallait nous en priver, attendu que depuis huit jours la source ne coulait plus, sous prétexte qu’il faisait 26 degrés de chaleur. La proposition n’en fut pas moins acceptée à l’unanimité ; cependant l’un de nous fit l’observation très sensée que trente-cinq gaillards comme nous ne seraient pas faciles à rassasier avec des œufs et du lait, seuls comestibles probables d’un pauvre village de Savoie. En conséquence, un gamin et deux ânes furent expédiés à Aix ; le gamin était porteur d’un mot pour Jacotot, afin qu’il nous envoyât le déjeuner le plus confortable possible : il devait être payé par ceux qui tomberaient de leurs ânes en revenant.

Nous étions, comme on le pense bien, arrivés à Hautecombe