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REVUE DES DEUX MONDES.

pilier un autel. Tout ce qui a un cœur noble et amoureux de la liberté se détourne de sa route, et vient prier là où il a souffert. On cherche sur la colonne où chacun veut inscrire son nom les caractères qu’il y a gravés, on se courbe vers la dalle creusée, pour y retrouver la trace de ses pas, on se cramponne à l’anneau auquel il était attaché, pour éprouver s’il est solidement scellé encore avec son ciment de huit siècles : toute autre idée se perd dans cette idée, c’est ici qu’il est resté enchaîné six ans… six ans, c’est-à-dire la neuvième partie de la vie d’un homme.

Un soir, c’était en 1816, par une de ces belles nuits qu’on croirait que Dieu a faites pour la Suisse seule, une barque s’avança silencieusement, laissant derrière elle un sillage brillanté par les rayons brisés de la lune ; elle cingla vers les murs blanchâtres du château de Chillon, et toucha au rivage sans secousse, sans bruit, comme un cygne qui aborde ; il en descendit un homme, au teint pâle, au front hautain, aux yeux perçans ; il était enveloppé d’un grand manteau noir qui cachait ses pieds, et cependant on s’apercevait qu’il boitait légèrement. Il demanda à voir le cachot de Bonnivard, il y resta seul et long-temps, et lorsqu’on rentra après lui dans le souterrain, on trouva, sur le pilier même de Bonnivard, un nouveau nom dont voici la copie exacte :



Alex. Dumas.