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IMPRESSIONS DE VOYAGES.

mettant en travers, il nous attendit ; à peine eûmes-nous mis le pied sur le pont qu’il reprit sa course.

Le lac Léman, c’est la mer de Naples : c’est son ciel bleu, ses eaux bleues, et de plus encore, ses montagnes sombres qui semblent superposées les unes aux autres, comme les marches d’un escalier du ciel ; seulement, chaque marche a trois mille pieds de haut ; puis, derrière tout cela, le front neigeux du Mont-Blanc, géant curieux qui regarde le lac par-dessus la tête des autres montagnes qui, près de lui, ne sont que des collines, et dont, à chaque échappée de vue, on aperçoit les robustes flancs.

Aussi a-t-on peine à détacher le regard de la rive méridionale du lac pour le porter sur la rive septentrionale ; c’est cependant de ce côté que la nature a secoué le plus prodigalement ces fleurs et ces fruits de la terre qu’elle porte dans un coin de sa robe : ce sont des parcs, des vignes, des moissons, un village de dix-huit lieues de long, étendu d’un bout à l’autre de la rive. Des châteaux bâtis dans tous les sites, variés comme la fantaisie, et portant sur leurs fronts sculptés la date précise de leur naissance ; à Nyon, des constructions romaines bâties par César ; à Vuflans, un manoir gothique élevé par Berthe, la reine fileuse ; à Morges, des villas en terrasses qu’on croirait transportées toutes construites de Sorrente ou de Baïa ; puis, au fond, Lausanne avec ses clochers élancés ; Lausanne, dont les maisons blanches semblent de loin une troupe de cygnes qui se sèchent au soleil, et qui a placé au bord du lac la petite ville d’Oulchy, sentinelle chargée de faire signe aux voyageurs de ne point passer sans venir rendre hommage à la reine vaudoise : notre bateau s’approcha d’elle comme un tributaire, et déposa une partie de ses passagers sur le rivage. À peine avais-je mis le pied sur le port, que j’aperçus un jeune républicain, nommé Allier, que j’avais connu à l’époque de la révolution de juillet, et qui, condamné pour une brochure à cinq ans de prison, je crois, s’était réfugié à Lausanne ; depuis un mois, il habitait la ville : c’était une bonne fortune pour moi, mon cicérone était tout trouvé.

Il vint se jeter dans mes bras aussitôt qu’il me reconnut, quoique nous n’eussions jamais été liés ensemble ; je devinai à cet embrassement tout ce qu’il y avait de douleur dans cette pauvre âme errante ; en effet, il était atteint du mal du pays. Ce beau lac aux