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DE LA MUSIQUE EN ANGLETERRE.

est si peu favorable à la musique, et si peu connue des étrangers, que jamais on ne publie la partition d’un opéra anglais. Quelques airs, devenus populaires, sont seuls achetés par les marchands de musique qui, moyennant une somme peu considérable, profitent de la vogue qu’ils obtiennent. En Italie, le travail d’un poète est compté pour si peu de chose, que le manuscrit d’un libretto est payé environ cent cinquante ou deux cents francs ; en France, on leur fait une part plus large : ils partagent par moitié avec le musicien les droits d’auteur qui sont payés par les entrepreneurs, et, par un usage assez bizarre, ils ont droit au tiers du prix que les marchands de musique donnent aux compositeurs pour leur partition. En Angleterre, la situation des musiciens est beaucoup plus singulière, car l’entrepreneur ne paie que le prétendu poète, qui, d’ailleurs, a droit à la moitié du prix de la vente de la musique.

Après avoir lu ces détails, je pense qu’on ne sera point étonné du petit nombre de musiciens qu’a produits l’Angleterre. Eh ! comment aimerait-on à cultiver un art dont on estime si peu les produits ? Un compositeur anglais ne voit dans le résultat de ses travaux ni gloire ni argent : qui donc pourrait le porter à écrire ? Les artistes n’ont ordinairement d’autre fortune que celle qu’ils se créent ; il faut qu’ils soient dans une situation aisée, que, libres de toute inquiétude, ils se livrent entièrement à la culture de leur art ; il faut surtout que l’espoir d’une grande renommée soit le mobile constant de leurs efforts. Rien de tout cela n’a lieu pour un compositeur anglais ; on ne doit donc pas s’étonner si l’on ne trouve à Londres que des arrangeurs qui n’estiment guère plus leurs travaux que le public. Mazzinghi, Reave, et beaucoup d’autres qui ne valent pas la peine d’être nommés, ont donné soixante ou quatre-vingts prétendus opéras, qui n’étaient composés que de lambeaux arrachés aux véritables opéras italiens, français ou allemands, auxquels ils cousaient quelques airs de leur façon, et quelques mélodies irlandaises ou écossaises, sorte d’assaisonnement dont on ne peut se passer à Londres. Bishop même, qui a quelque talent et de la réputation pour ses airs, n’a presque point fait autre chose.

Il y a dans l’opéra anglais une action continuelle et réciproque de la misérable composition de la musique sur les exécutans et de l’ignorance de ceux-ci sur la musique. Naguère, l’exécution d’un