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DE LA MUSIQUE EN ANGLETERRE.

mais la réputation toute faite de la musique et des chanteurs qu’ils entendent les dispense d’avoir une opinion qu’ils ne sauraient se former par eux-mêmes, et cela est commode. D’ailleurs, il n’est pas donné à tout le monde d’avoir pendant quelques mois une loge qui coûte 3 ou 400 guinées ; pour jouir de cet avantage, il faut être, sinon noble, au moins riche, et cela suffit pour décider la vocation de la haute société. Ces loges sont fermées, entourées de tentures et de rideaux derrière lesquels ces hauts personnages peuvent se considérer comme chez eux, et causer à leur aise ; voilà ce qui leur convient. Il est facile de comprendre que les grandes loges tout ouvertes de Drury-Lane et de Covent-Garden, loges qui contiennent douze ou quinze personnes, et dans lesquelles on serait exposé à se trouver mêlé à la classe moyenne qu’on méprise, ne permettent pas de fréquenter ces théâtres où l’on joue l’opéra anglais. De là le discrédit où est tombé ce genre de spectacle, et les causes secondaires qui s’opposent à son émancipation.

Ce que j’appelle causes secondaires a besoin d’être expliqué. J’ai déjà dit que tout se fait en Angleterre par souscription ; les théâtres, plus qu’aucune autre entreprise, ont besoin de ce genre de secours. La haute société ne fréquentant point ceux de Drury-Lane et de Covent-Garden, les directeurs de ces théâtres n’ont d’autre ressource que la recette journalière pour couvrir toutes les dépenses. Pour que cette recette soit considérable, il faut que le spectacle soit composé de manière à exciter la curiosité de la multitude. Or, un peuple dont l’éducation musicale est si peu avancée, ne peut être attiré par le seul désir d’entendre de la musique. L’opéra ne suffit donc pas pour une soirée entière ; la tragédie, la comédie, le drame et la pantomime, le luxe des décorations, des machines et des costumes sont nécessaires, et les entrepreneurs tournent sans cesse dans le cercle vicieux d’ajouter aux dépenses pour augmenter les recettes, et de rendre les recettes insuffisantes par l’énormité des dépenses.

Ce n’est pas tout : les réputations anciennes ont un tel attrait pour le peuple anglais, qu’il n’est pas possible de lui faire écouter avec plaisir un opéra dans lequel il n’entend point Braham, madame Wood (autrefois miss Paton), Sapio, Phillips et quelques autres artistes qu’il a l’habitude de voir depuis long-temps.