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DE LA MUSIQUE EN ANGLETERRE.

lien, il faut savoir qu’il ne peut obtenir une bonne souscription pour les loges de son théâtre, qu’en présentant d’avance le tableau du personnel des chanteurs engagés pour la saison, et en composant ce tableau de manière à piquer la curiosité des habitués. Il lui faut donc des artistes déjà devenus célèbres, et ces artistes se paient fort cher. Ne pouvant faire d’économie sur ce point, il faut que l’entrepreneur en fasse sur ce que le public n’aperçoit pas d’avance : l’orchestre, les chœurs, les décorations, les machines, les costumes, les employés, les bureaux, voilà sur quoi portent ces économies si nécessaires. Que M. Laporte fasse tenir par un seul employé la comptabilité d’une entreprise dont le mouvement financier est de plus d’un million ; qu’au lieu de cette armée d’inutiles garçons de théâtre, de commis, de contrôleurs, d’ouvreuses de loges, dont tous les théâtres de France sont encombrés, il n’y ait à King’s theatre que le nombre exact de gens nécessaires ; que le machiniste, le décorateur, le tailleur, et toutes les autres sangsues d’entreprises théâtrales, ne puissent voler le pauvre entrepreneur, jusque-là tout est bien : mais voici le mal. Obligé de réduire au nombre le plus exigu les choristes qui chantent dans une salle plus vaste que l’Opéra de Paris, et de n’accorder à ceux qu’il emploie que cinq schellings pour chaque représentation, ce qui, à raison de cinquante soirées par saison, fait à peine 400 francs par an, l’entrepreneur ne peut offrir au public que des chœurs d’autant plus faibles, que la quantité d’ouvrages représentés en moins de six mois ne permet de faire qu’un petit nombre de répétitions. À l’égard de l’orchestre, c’est encore pis. Outre que les instrumentistes n’y sont pas en nombre suffisant pour produire de l’effet, ils ne trouvent point, dans le revenu de leur emploi, un sort assez beau pour y attacher quelque prix. Il suit de là que le directeur et le chef d’orchestre ne peuvent se montrer sévères pour l’exactitude du service ; car ils seraient à chaque instant exposés à se voir abandonnés par la moitié des musiciens, qui ont la certitude de trouver, dans les concerts et les leçons qu’ils donnent, une compensation à la perte de leur emploi. Les répétitions se font mal ; l’exécution est négligée ; les chanteurs, mal accompagnés, se gâtent ; et le public, qui jamais n’entend rien de vraiment bon, ne perfectionne point son goût.