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seulement quand il vole. Les pigeons, ajoute-t-il, savent, à ce qu’on assure, reconnaître chacune de ces espèces de faucons. S’ils voient celui qui ne les attaque que quand ils volent, ils restent posés où ils se trouvent ; si c’est celui qui les attaque à terre, ils s’envolent sans l’attendre. »

Parmi les aigles qui se nourrissent de poissons, il en est qui, de même que les faucons dont j’ai parlé plus haut, craignent de plonger, et ne pouvant saisir leur proie qu’en l’air, ont aussi besoin d’un auxiliaire. L’aigle à tête blanche est de ce nombre. On le voit près des grands lacs de l’Amérique du Nord, perché sur la cime d’un arbre, comme notre faucon sur le sommet de son roc, attendant, non pas que les carpes s’envolent, mais que le faucon pêcheur les tire pour lui hors de l’eau. À peine celui-ci a-t-il saisi un poisson, que l’aigle à tête blanche le poursuit, l’oblige à laisser tomber sa proie, et la saisit avant qu’elle ait atteint la surface du lac.

Dans les mers tropicales on voit se reproduire quelque chose de semblable chez les frégates, qui, avec un goût aussi décidé pour le poisson, ont une même répugnance à plonger. À la vérité, les poissons volans s’élèvent pour elles du sein de l’eau ; mais, quand cette ressource leur manque, elles se servent des fous comme pourvoyeurs, et les contraignent par des coups à dégorger le poisson qu’ils ont déjà avalé. Enfin les mêmes scènes ont lieu dans les mers du nord entre les labres et certaines petites espèces de mouettes. Comme le poisson que celles-ci rejettent quand elles se voient poursuivies, est le plus souvent à demi digéré, et réduit en une masse pulpeuse, il en est résulté pour les matelots hollandais une erreur qui leur a fait donner au labre le nom de Strund-jager, nom que quelques naturalistes ont rendu par celui de stercoraire.

D’autres mouettes, dans les parties chaudes de l’Amérique, se voient en butte aux poursuites d’un tyran du dernier ordre, du Caracara, le plus poltron peut-être et en même temps le plus impudent de tous les oiseaux rapaces. J’ai été souvent témoin de cette chasse de brigands, et il m’est arrivé une fois de recueillir en définitive le fruit du vol.

Je me trouvais alors sur l’Orénoque, dans l’île de Pararuma, où devait se faire bientôt la fameuse récolte des œufs de tortue. Les Indiens qui viennent de tous les côtés pour recueillir cette manne, étaient déjà en partie arrivés, et avaient dressé leur bivouac dans l’île. Tous étaient occupés de quelques préparatifs, et déployaient une activité fort éloignée de leur manière d’être habituelle. Pour moi, qui n’avais rien à faire, je m’amusais à voir un marsouin[1] qui poursuivait des bandes de petits poissons sem-

  1. Ces marsouins, que M. de Humboldt regarde comme une espèce différente de ceux qui habitent les mers, sont très communs dans l’Orénoque, où on les con-