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REVUE. — CHRONIQUE.

est Childe-Harold, René ou Obermann, qu’avons-nous à faire de connaître les détails de sa vie matérielle, et jusqu’à quel point il était semblable à la foule ?

Au reste, pour ce qui concerne Byron, il y là-dedans une sorte de rétribution. Il était juste que celui qui a détruit tant d’illusions nécessaires, flétri tant d’âmes qui ne demandaient qu’à vivre, souillé, autant qu’il était en lui, tout ce qu’il y a d’un peu beau dans la vie, fut, à son tour, jugé dans sa nudité, et que le dégoût qu’inspire la lecture de ses poèmes pour toutes les choses d’ici-bas retombât sur lui-même. Ce que n’eussent pas fait les critiques les plus violentes, ceux-là le font naturellement, et peut-être sans s’en douter, qui exhument jusqu’aux moindres particularités de sa vie. L’effet que produit sur moi le récit de lady Blessington est de cette nature, bien que certainement telle n’ait pas été son intention. Pendant un séjour de trois mois à Gênes, lady Blessington a vu familièrement chaque jour, et même plusieurs fois par jour, son illustre compatriote ; elle a été à même de l’observer à loisir, et bien qu’elle avoue n’avoir pu pénétrer dans les dernières profondeurs de cette âme exceptionnelle et mystérieuse, son livre n’en est pas moins une des études les plus complètes qui aient été faites sur cette anomalie morale. Ce qu’il y avait de difficile n’était pas d’obtenir une part dans les confidences de Byron : on sait qu’il se livrait au premier venu avec un laissez-aller sans pudeur, impardonnable même dans l’homme le plus bas placé. Mais il fallait savoir saisir, dans ces épanchemens déréglés, ce qui était spontané et vraiment senti, de ce qui n’était que sarcasme, ironie amère, et souvent forfanterie cynique. Une femme seule était capable de cette tâche délicate, pourvu cependant qu’elle ne fût ni la mère, ni la sœur, ni la femme, ni la maîtresse de Byron, ainsi qu’il le disait lui-même. C’est en le contredisant avec finesse, en provoquant sa mauvaise humeur, que lady Blessington parvenait à découvrir la vérité ; elle pouvait deviner quand elle avait mis le doigt sur la plaie, à l’explosion subite qui suivait l’attouchement de la blessure secrète. Byron alors s’éloignait d’elle et boudait, mais il revenait bientôt, soit qu’au fond il se rendit justice, soit qu’il pardonnât tout à la main qui l’avait offensé. Or, malgré l’admiration sincère et la sympathie de lady Blessington pour le grand poète, que résulte-t-il de tout ce qu’elle nous apprend de ses sentimens intimes et de son véritable caractère ? À mon sens, je le confesse, le tableau de l’alliance déplorable des plus rares facultés avec mille travers que ne peut faire excuser le génie ; et, je le répète, qu’avions-nous à faire de ces révélations ? Est-ce bien là Childe-Harold, ce Childe-Harold « dont les pensées n’avaient rien de commun avec celles des autres mortels, » que cet homme vaniteux, emporté, déchirant ses